On sait beaucoup de choses sur la vie à bord du RMS Olympic. Les différentes façons pour les passagers civils de se divertir. Les salons et lieux de vie communs absolument splendides. Ce que l’on imagine moins, c’est la vie à bord du HMT Olympic.

Alors que la Première Guerre mondiale secoue le contient européen, des centaines de milliers de soldats transitent sur le navire. Dépouillé de ses décorations luxueuses et réquisitionné par l’Amirauté, le plus beau paquebot du monde est désormais un transporteur de troupes.

Aujourd’hui, j’aimerais que l’on apprenne ensemble comment se déroulaient ces transports. Comment ces milliers de soldats ont vécu leur voyage sur le navire et à quoi ressemblait la vie quotidienne à bord pendant cette période très particulière.

Et nous commençons tout de suite avec…

La préparation du HMT Olympic

Pendant la Première Guerre mondiale, l’Olympic est encore l’un des plus grands paquebots du monde. La préparation du navire demande une logistique impeccable et énormément de ressources.

Que ce soit en vivres, en charbon ou encore en eau, peu de ports sont capables de fournir le nécessaire. En plus du problème de ravitaillement, il faut aussi garder en tête que le nombre de ports capables d’accueillir un si grand navire se compte presque sur les doigts d’une main. Enfin, pour ne rien arranger, certains de ces ports, comme Southampton, seront parfois bien trop dangereux pour s’y risquer.

Chargement de charbon

Le HMT Olympic consomme en moyenne 5.100 tonnes de charbon par traversée transatlantique. Sa consommation à vitesse de croisière est de 850 tonnes par jour. En temps de paix, les chargements ne sont dérangés ponctuellement que par les grèves.

Mais charger en temps de guerre entre 3 et 6.000 tonnes de charbon (selon les besoins) dans des ports comme Halifax qui n’ont pas les infrastructures nécessaires sera un véritable défi.

Lors de sa première traversée vers le Canada en mars 1916, la Dominion Coal Company informe qu’elle pourra fournir les 3.000 tonnes de charbon. Elle fournira aussi la main d’œuvre et les barges nécessaires au chargement. D’après ses prévisions, l’opération prendra trois jours.

Pendant ce temps, les officiels restent sceptiques sur la capacité du port de Halifax à approvisionner un si grand navire. Après tout, le port n’a aucune expérience avec de si grands vaisseaux et seules six barges sont disponibles pour l’alimentation en charbon.

Finalement, l’Olympic repartira de Halifax avec trois jours de retard. Les trois jours d’approvisionnement prévus se sont transformés en un marathon de six longues journées.

Le temps long…

Alors que le chargement en charbon et en eau prenait de plus en plus de retard, les soldats eux, ont embarqué dans les temps sur le navire.

Déverser le charbon dans les soutes est un travail extrêmement salissant. De la poussière vole et se dépose absolument partout.

Les 6.000 soldats à bord doivent rester pendant toute la durée de l’opération enfermés à l’intérieur, tous hublots fermés.

L’approvisionnement en eau

On l’oublie parfois un peu, mais l’Olympic consomme aussi de l’eau sans modération. Même stationné à quai, il en utilise 75 tonnes par jour. Pour le réapprovisionner, il faut pomper à bord entre 1.500 et 2.500 tonnes d’eau.

Encore une fois, certains ports comme celui de Halifax ne sont pas prévus pour ce type d’exercice. Ses deux navires-citernes ne peuvent fournir que 800 tonnes d’eau par jour. Pour tenir les délais, toutes les ressources en eau de la ville sont mises à contribution, à commencer par les pompiers.

Charger la nourriture

L’amirauté a passé un contrat avec la White Star Line. La compagnie maritime doit fournir la nourriture de niveau de troisième classe aux troupes. Quelques denrées périssables sont quand même réapprovisionnées lors des escales. C’est le cas par exemple des œufs, des salades et du poisson.

L’approvisionnement va d’ailleurs se montrer très coûteux pour la White Star Line. Dans un courrier daté du 20 septembre 1916, la compagnie informe l’Amirauté qu’elle n’a touché que 6.953 livres pour le premier transport de troupes de l’Olympic. Alors que le coût en nourriture s’élève à lui seul à 9.667 livres ! La réponse est sans appel : aucune négociation sur le tarif offert par l’Amirauté.

Accueillir les troupes

Dans la plupart des cas, les troupes sont acheminées par trains spéciaux jusqu’au port de départ. Pendant le trajet, tous les bagages sont minutieusement fouillés à la recherche entre autres d’explosifs.

Une fois arrivés au port, les soldats découvrent, souvent pour la première fois, à quoi ressemble un paquebot transatlantique. Le gigantisme de l’Olympic et sa réputation de luxe et de sécurité émerveillent ceux qui s’en approchent.

Lors des dernières années de la guerre, l’Olympic arbore son camouflage Dazzle qui surprend plus encore les civils qui l’observent et les soldats qui s’y embarquent.

HMT Olympic
Peinture de Arthur Lismer du Dazzle de l’Olympic (1)

Alors qu’ils passent le seuil du navire les uns derrière les autres, les soldats reçoivent une carte. En l’ouvrant, chacun découvre l’emplacement exact de son lit (ou hamac), sa place de cantine, ainsi que les consignes générales de sécurité.

Faire embarquer 6.000 personnes à bord n’est jamais très simple. Généralement, deux jours sont nécessaires. Ceux qui ont embarqué le premier jour passent généralement la seconde journée accoudés au bastingage. Ils regardent le flot discontinu de soldats qui semblent s’engouffrer sans fin dans le ventre du paquebot.

Le soir venu, certains soldats se rendent sur les ponts pour parler avec des gens à terre.

Passagers

L’Olympic transportait quelques passagers non soldats lors de ses traversées. Des officiers de l’U.S. Air Service ou de l’U.S. Navy ou des chimistes en route pour les fabriques de munitions britanniques.

Et bien que la majorité de ses passagers étaient des hommes, il est arrivé que des femmes fassent le voyage elles aussi. Comme des sœurs du corps médical ou des femmes d’officiers.

Le 1er décembre notamment, le HMT Olympic transporte 7106 personnes, dont 6152 ouvriers chinois destinés à travailler derrière les lignes de front. Pour l’occasion, le Capitaine Bertram Hayes doit faire livrer en catastrophe 100 tonnes de riz et demande l’accompagnement de 140 gardes supplémentaires.

Des cargaisons mystérieuses

N’oublions pas que l’Olympic possède aussi de vastes cales. Et que la guerre est toujours l’occasion de très grands transits de marchandises.

Lors de ses traversées transatlantiques, le HMT Olympic transporte souvent des cargaisons « spéciales ». Lors de son premier trajet Halifax-Liverpool, il embarque 14 tonnes de munitions. En novembre 1916 ce sont 20 caisses de « ressources précieuses » de la Bank of England qui sont chargées. Des armes et des munitions sont encore embarquées en décembre 1916. Puis le navire charge du matériel d’hôpital en avril 1917.

Mais il y a une cargaison que l’Olympic a déjà l’habitude de transporter depuis son voyage inaugural : Le courrier. Et il conservera cette mission tout au long de sa carrière militaire.

Blessés et civils

Lors des voyages retours de la méditerranée vers la Grande-Bretagne ou de la Grande-Bretagne vers le Canada, l’Olympic ramène aussi des centaines de blessés et de civils qui quittent les zones de conflit.

Les blessés sont généralement gardés à l’hôpital du navire qui se situe au pont C qui dispose de 60 lits, plus 27 additionnels. Les invalides qui ont besoin d’être plus isolés peuvent rester dans l’une des trois cabines du pont C mises à disposition ou dans l’une des 12 cabines d’appoint du pont D.

En avant toute !

Où que ce soit, les départs de troupes sont toujours des moments chargés d’émotion. Tous les navires font retentir leurs sirènes sur le passage du HMT Olympic. Les badauds se pressent sur les quais et agitent leurs bras en criant leur soutien à ceux qui s’apprêtent à combattre. Pendant que leur terre se fond dans l’horizon certains soldats en ont déjà lourdement conscience que la majorité d’entre eux ne reviendra jamais.

Le Capitaine Hayes insiste auprès de l’amirauté pour que l’Olympic ne soit pas escorté vers la haute mer. Sous escorte, la vitesse du navire est limitée à 12 nœuds. Il devient alors une cible facile pour un sous-marin ennemi.

L’amirauté donne raison à Hayes qui peut alors filer seul à la vitesse de 22 nœuds loin des côtes sans risquer d’être rattrapé par un submersible. Il ne sera escorté qu’en de rares occasions, quand des vaisseaux ennemis sont repérés sur sa route.

La traversée

Que ce soit lors de ses missions en méditerranée ou de ces transports transatlantiques, l’Olympic a la réputation d’être d’une irréprochable régularité.

Les traversées, même si elles sont parfois ponctuées par des incidents plus ou moins stressants pour l’équipage et les soldats à bord, sont toujours un succès. Et tout le monde s’accorde pour dire que le navire est d’un confort et d’une stabilité sans égal.

Ces journées en mer et la qualité de vie à bord du HMT Olympic sont d’un terrible contraste avec les horreurs que ses passagers s’apprêtent à vivre sur les champs de bataille.

Il y a quand même des moments moins agréables à bord. Quand la mer est agitée, c’est le chaos parmi les troupes. La plupart des soldats à bord n’ont jamais connu la mer et ils n’ont pas vraiment le pied marin. Les affluences des cantines et des toilettes sont inversement proportionnelles et étroitement liées à la météo !

La vie quotidienne à bord du HMT Olympic

De la suite de première au champs de hamacs

Faire entrer 6.000 soldats dans un paquebot prévu pour moitié moins de passagers demande de faire quelques sacrifices. En tous cas des sacrifices de confort.

Alors que les plus hauts gradés peuvent partager à trois des suites de première classe, les simples soldats sont pour la plupart entassés dans des dortoirs. Là, des milliers de hamacs pendent des plafonds. Il n’y a pas de place pour circuler ou déposer ses affaires convenablement. Sans surprise, la plupart des occupants préfèrent largement prendre l’air sur les ponts supérieurs !

Après quelques traversées, la concentration de hamacs sera revue à la baisse pour améliorer le confort des troupes.

  • Première configuration : 500 lits en cabines de 1re classe – 958 lits – 4542 hamacs
  • Seconde configuration :  500 lits en cabines de 1re classe – 1033 lits – 3765 hamacs

Le temps d’un repas

Autant vous prévenir tout de suite, les somptueux repas de l’ère des traversées civiles ne sont plus qu’un lointain souvenir. Comme vous le savez maintenant, les denrées fournies par la White Star Line correspondent à une qualité de 3e classe.

Les premiers repas de cantine militaire en septembre 1915 ne sont pas un franc succès. Mais la qualité s’améliorer quand même petit à petit. Et tout le monde finit par y trouver son compte tant en qualité qu’en quantité.

Après avoir fait la queue pour récupérer votre plateau de porridge, saucisses et pain, il ne vous reste plus qu’à vous frayer un chemin jusqu’à la place précise qui vous a été attribuée. La logistique des repas manque d’équilibre les premiers temps. La salle de restauration est bondée à chaque service et plongée dans l’obscurité.

Attention, si vous n’arrivez pas à l’heure ou ne trouvez pas votre place dans le réfectoire, vous devrez attendre le prochain repas… ou payer votre pitance sur vos deniers personnels.

Les activités à bord de l’Olympic

Le voyage à bord est loin de l’ambiance croisière. L’ordre est militaire et tout le monde a des devoirs précis à remplir chaque jour. Tout d’abord, le nettoyage du navire et du matériel militaire. Le lavage méthodique des ponts et des rampes d’escalier prend une heure tous les matins et une demi-heure tous les soirs.

Une fois que le navire est en belle forme, il est temps de mettre les soldats au diapason grâce à une séance d’entraînement physique organisée par les représentants des YMCA.

Un match de boxe organisé au pied du mat arrière (2)

Chaque jour ou presque est aussi l’occasion d’une inspection des troupes et des dortoirs. Et si vous aviez prévu de vous la couler douce en milieu d’après-midi, c’était sans compter sur les exercices de sécurité aussi fréquents qu’importants pour tout le monde à bord.

Quand ils ne sont pas en exercice, les soldats peuvent relâcher un peu la pression et profiter de la merveille qui est juste sous leurs pieds.

Des activités sans conséquences… ou presque

Comme dans toute communauté, certains ont rapidement compris que les réserves de tabac du navire pouvaient leur offrir une source solide de revenus et la contrebande fit son apparition. 

Pendant ce temps, des centaines d’autres se relaxent sur le pont au soleil. Ils passent le temps en jouant à « Housey Housey » (un autre nom pour désigner le bingo) ou au jeu de dés illégal « Crown and anchor ».

D’autres encore se lancent dans des discussions interminables au pied d’une cheminée sur leur village natal ou leur fiancée qui attend patiemment à la maison. Les YMCA ont de nombreux jeux et livres pour s’assurer que personne n’est trop oisif.

On se relaxe au pied du compas (3)

Et en fin d’après-midi, pendant que des officiers jouent au palais sur le pont, certains s’essayent au chant et au piano dans les salons ou visitent le navire de fond en comble.

A 22h00, après une journée bien chargée, c’est l’extinction des feux pour tout le monde.

Le danger n’est jamais loin

Même si les journées peuvent sembler paisibles et sûres à bord du HMT Olympic, personne n’oublie que la mort n’est jamais loin. Qu’il s’agisse des attaques de sous-marin échouées comme celle du U-103, ou du danger que représentent les mines sous-marines. Tout le monde garde en tête que le malheur peut frapper n’importe où, n’importe quand.

D’ailleurs, le danger n’est pas que militaire ! Pendant l’hiver 1918-1919, la pandémie de grippe oblige tous les passagers à porter des masques à gaz en permanence sauf pendant les repas. Et malgré la désinfection complète de l’Olympic au port de Southampton, 12 cas sévères furent recensés et mis en quarantaine dans l’hôpital du navire.

Plusieurs soldats ont perdu la vie pendant leur traversée. Ce sont pour la plupart des cas de crises cardiaques, pneumonies ou autres problèmes naturels.

Débarquement

Le débarquement est un moment particulier. Alors que le voyage pouvait parfois sembler un peu long, surtout si le temps avait été mauvais, quitter le navire ne pouvait signifier qu’une chose : l’imminence de la guerre.

Chargé d’excitation mêlée à l’appréhension, les soldats se tiennent prêts généralement deux heures avant de débarquer. Une fois arrivé à quai, l’Olympic se vide d’un flot discontinu d’hommes courageux qui vont rejoindre leurs camps respectifs.

Certains se retournent pour apercevoir une dernière fois la silhouette du vieux fidèle. Seuls les plus chanceux d’entre eux pourront remonter à bord pour revoir leur patrie.

La vie à bord du HMT Olympic

Quand on parle de l’Olympic et de ses jumeaux, on pense la plupart du temps aux cabines de luxe, à l’orchestre et à tout ce qui a fait de cette classe de navire, la plus belle réussite esthétique des paquebots transatlantiques.

Pourtant, comme nous venons de le découvrir ensemble, la vie à bord du HMT Olympic est à des années-lumière de ses traversées civiles. Les ponts pleins à craquer, le frisson du danger omniprésent et la discipline militaire ont vite effacé la routine du service commercial.

Mais cette routine sera très vite solidement réimplantée sur le paquebot. L’Olympic va redevenir synonyme de luxe, d’opulence et de succès pour plus d’une décennie encore. Mais nous parlerons de tout ça dans un prochain article !

Samuel Longin

Sources : RMS Olympic : Titanic’s sister – Mark Chirnside p.155 à 182 / Gray, David R. (2002) “Carrying Canadian Troops: The Story of RMS Olympic as a First World War Troopship,” Canadian Military History: Vol. 11 : Iss. 1 , Article 6.

Photos : (1) Peinture de Arthur Lismer – Domaine public – Beaverbrook Collection of War Art, https://www.warmuseum.ca/collections/artifact/1013868/ (2) et (3) https://www.greatwarforum.org/topic/50383-ss-olympic/page/2/