L’histoire de l’Olympic n’est pas composée que de victoires de guerre héroïques ou de moments de béatitude dans le luxe de ses suites et salons. Aujourd’hui, nous allons aborder l’un des sujets les plus tristement célèbres de sa carrière. Il s’agit de la collision entre le RMS Olympic et le Nantucket LV-117.
Quand la routine ne laisse rien présager
Nous sommes le 15 mai 1934 et l’Olympic est à 200 miles de New York. Sur la passerelle le Capitaine John Binks est au commandement du paquebot depuis trois ans. Ce marin aguerri est une star de l’Atlantique et de la White Star. Les sept mois qui le séparent encore de la retraite promettent d’êtres calmes sur les pont du Vieux Fidèle.
La traversée depuis le Vieux Continent s’est déroulée sans le moindre accro et dans le calme. Depuis le krach de 1929 et la grande dépression, le nombre de passagers est en forte baisse.
Le Capitaine Studley est à terre et c’est son second, Georges Braithwaite qui est au commandement du Nantucket LV-117. Ce bateau-feu de 41 mètres et de 630 tonnes est ancré en permanence au sud de l’île de Nantucket. Son rôle est celui de repère de navigation aux paquebots qui sillonnent le secteur.
Pour remplir cette mission, il est équipé de deux lanternes au sommet de ses deux mats, d’une corne de brume bi-directionnelle sur son mât principal et d’une cloche d’alarme actionnée manuellement. En plus de ces signaux, sa radio sert aussi de balise permettant de connaitre sa position.
L’Olympic est en approche
A l’approche de l’île de Nantucket, il n’est pas rare de traverser des brumes épaisses et c’est précisément le cas aujourd’hui. Il est 5h00 quand l’Olympic arrive au dernier virage de sa traversée et entre dans un brouillard extrêmement dense. Les guetteurs n’ont une visibilité que sur 150 mètres et la vitesse de 20 nœuds est réduite à 16 puis 12 nœuds.
Ce brouillard ne rassure pas les 11 marins du Nantucket. Il y a un peu plus de quatre mois, le 6 janvier 1934, le Nantucket est déjà entré en collision avec le SS Washington. Si les dégâts matériels sont restés limités, cela a prouvé aux marins à bord que leur sécurité était toute relative. Certains sont sûrs qu’un accident surviendra tôt ou tard.
« Un jour, on va tout simplement s’en prendre un en pleine face et ce sera terminé. Un de ces paquebots va juste nous foncer dessus. »
Mots de John Parry, opérateur radio du LV-117 à un ami en avril 1934
Sur l’Olympic, les opérateurs radio essaient de capter le signal radio du bateau-feu pour déterminer sa position précise.
A 10h55, les signaux sonores et radio du LV-117 sont repérés. Il semble se trouver sur l’avant droite du transatlantique. Le capitaine Binks demande de virer de 10 degrés sur bâbord et de réduire encore la vitesse à 10 nœuds. Sans le savoir, il dirige le RMS Olympic et ses 52.000 tonnes droit sur le bateau-feu 75 fois plus petit.
Le temps suspend son envol
Soudain la cloche des guetteurs de l’Olympic retentit trois fois. Ils viennent de repérer le Nantucket droit devant eux et à une distance de seulement 150 mètres !
Sur la passerelle la course contre la montre commence. On ordonne la barre à bâbord toute et les machines en arrière à pleine puissance. Il ne reste plus qu’à compter les secondes et prier pour que le paquebot dévie de sa route à temps.
Sur le Nantucket LV-117, le second Mosher crie « L’Olympic est sur nous ! ». Le Capitaine Braithwaite se retourne et voit le gigantesque paquebot fondre sur eux. Il agite frénétiquement les bras pour faire signe au navire de virer sur bâbord.
Alors que la cloche d’alarme résonne sur le pont du bateau-feu, l’Olympic semble le viser en plein cœur. La gigantesque proue de l’Olympic s’approche inexorablement de leur bateau. Face au Vieux Fidèle, le bateau-feu a des allures de barque.
Le paquebot ralenti jusqu’à une vitesse estimée à 3 nœuds mais il est déjà trop tard. Ce véritable géant des mers est incapable de virer en si peu de temps malgré tous les efforts déployés par ses officiers. Il est 11h06. Lentement, à un peu plus de 5km/h, l’Olympic vient heurter la coque du Nantucket qu’il repousse comme une vulgaire branche.
David contre Goliath
Sur le Nantucket, les marins sont propulsés dans une apocalypse sonore avec leur bateau qui bascule, se tord, grince et se rompt. John Perry, l’opérateur radio aux paroles prophétiques sort en trombes de la cabine radio et se retrouve dans les eaux glacées de l’Atlantique à nager pour sauver sa vie.
Alors que la chaudière du Nantucket explose dans ses entrailles, les quelques hommes sur le pont tentent vainement de s’agripper à quelque chose. Mosher a tout juste le temps d’attraper un gilet de sauvetage que le LV-117 se dérobe sous ses pieds. Le naufrage est extrêmement rapide, ceux qui sont encore dans l’entreponts n’ont tout simplement aucune chance.
Depuis l’Olympic, le passager John De Freitas qui déambulait sur le pont promenade voit membres d’équipage courir en direction des bastingages et des canots de secours.
Lorsqu’il regarde par dessus bord, il découvre la tragédie qui se joue à quelques mètres seulement. Sur le pont du bateau-feu, les marins courent en tous sens pour trouver un gilet de sauvetage. Certains semblent déjà morts, d’autres saignent abondamment.
A la recherche de survivants
Lorsque l’Olympic s’immobilise enfin, les deux canots d’urgence et son canot motorisé sont mis à l’eau.
Les passagers qui n’ont pas ressenti le choc sont alertés par le changement de régime des machines avec lesquelles ils vivaient depuis bientôt une semaine. Certains sont intrigués et se rendent sur les promenades pour comprendre ce qu’il se passe.
Et alors que les canots partis à la rescousse des survivants se fondent dans le brouillard, certains passagers aperçoivent une bouée rouge à la surface. Elle porte le nom Nantucket.
Pendant la recherche, on tire des fusées depuis la passerelle et on fait hurler les sirènes pour guider le retour des canots.
Les secours chercheront pendant quarante-cinq minutes les membres d’équipage du Nantucket. Sur les 11 marins, 7 sont repêchés. Trois d’entre eux ne survivront malheureusement pas jusqu’à New York.
La liste des rescapés se limite donc au Capitaine Georges Braithwaite, le Second C. E. Mosher, l’opérateur radio John Perry et le Huileur Laurent Robert. Le Capitaine est un miraculé. A 70 ans, il réussit à s’en sortir malgré le fait qu’il ne sait pas nager !
Il n’y a plus aucun espoir de trouver d’autres survivants. A 12h29 le Capitaine Binks fait redémarrer le paquebot en direction du port de New York.
L’arrivée à New York
Lorsque l’Olympic arrive à New York le lendemain, la presse est déjà au courant de la triste nouvelle. Les reporters filment son arrivée au Chelsea Pier. Une interview de Binks et des survivants est organisée sur le pont de l’Olympic.
Les suites de l’accident entre le RMS Olympic et le Nantucket LV-117
La Cunard-White Star est bien entendue chargée de remplacer le bateau-feu. La compagnie finance la construction du Nantucket LV-112 qui est aujourd’hui encore à flot et ouvert au public à Boston.
L’Olympic n’est pas gravement endommagé et repart pour Southampton comme prévu le 17 mai. Là-bas, il est mis en cale sèche au Trafalgar dry dock pour remplacer les quelques plaques de coque abimées par la collision. Il sortira de réparation en juin pour reprendre son service transatlantique habituel.
L’épave du Nantucket est découverte dans les années 70 mais ne sera clairement identifiée qu’en 1998. Son identification a permis de refuter une théorie vieille de plus de 60 ans selon laquelle l’Olympic aurait coupé le Nantucket en deux.
L’épave du bateau-feu est bien entière aujourd’hui encore par 61 mètres de fond, couverte de filets de pèche qui se sont pris dans ses superstructures.
Bientôt la fin
Le paquebot de la White Star Line a déjà connu divers abordages et incidents au cours de sa carrière. Que ce soit lors de sa collision avec le croiseur HMS Hawke, l’éperonnage héroïque du sous-marin U-103 pendant la première guerre mondiale ou encore la collision avec le Fort Saint Georges dans le port de New York.
La tragédie vécue par les marins du Nantucket LV-117 est le dernier incident notable que connaitra le RMS Olympic. Dans moins d’un an, le plus beau paquebot qui ait sillonné l’Atlantique nord vivra son dernier voyage avant d’être désarmé aux côtés de son rival de toujours, le RMS Mauretania.
Mais ça, vous allez le découvrir dans l’article La destruction de l’Olympic.
Samuel Longin
Sources : Le site du Nantucket LV-112 / Lighthouses Digest / The New York Times / (3) Chaîne Youtube de William Murdoch dot net / Page Wikipedia du LV-117 / History of the Olympic class liners – Milos Grkovic, p.59 et 60
Photos : (1) Le RMS Olympic passe aux abords du Nantucket, US Coast Guards, https://en.wikipedia.org/wiki/File:SS_Olympic_-_1934.jpg / (2) Le Nantucket LV-117 https://en.wikipedia.org/wiki/File:United_States_lightship_LV-117.jpg / (4) Photographie de Keystone Press, collection de Samuel Longin