Quand on pense à la Première Guerre mondiale, on voit d’instinct des images de soldats sous le feu ennemi dans les tranchées. Ou encore des champs de bataille défigurés par les bombes.

Mais la guerre telle qu’elle a été vécue par Donald Stewart était différente. Sa Première Guerre mondiale, il l’a vécu en grande partie en mer. Marin Ecossais, il a été mobilisé par la Royal Navy sur plusieurs navires dont le HMT Olympic, chargé de transporter des troupes au front.

Ce témoignage est un compte rendu légèrement abrégé de Donald Stewart. Il y parle de son service pendant la Première Guerre mondiale.

Le récit de Donald Stewart sur la Première Guerre mondiale

À l’été 1914, j’avais 22 ans. Comme beaucoup d’autres hommes de Lewis, je travaillais à la pêche au hareng sur la côte Est. Je faisais partie de l’équipage d’un voilier appelé l’Uganda et nous pêchions à Fraserburgh (Ecosse). Il y avait trois autres hommes de Coll et un de Vatisker dans l’équipage.

Un dimanche, je suis allé me ​​promener avant le dîner et j’ai été surpris de voir des avis dans les vitrines des magasins et dans les cours demandant à tous les réservistes de la Royal Navy de se présenter immédiatement à la douane.

Après le dîner, je suis allé à la douane comme j’étais réserviste. On m’a dit de me présenter à Portsmouth dès que possible. Certains sont partis dans le train du dimanche mais il était trop plein pour nous emmener tous.

Le grand départ

Je suis parti le lundi matin. Encore une fois, le train était plein. Beaucoup de passagers étant des pêcheurs de Lewis. Dans le compartiment avec moi se trouvaient cinq de mes voisins proches. Il y avait Alexander Munro, John Macdonald, Norman Stewart, Murdo Maciver, Norman Maciver.

Alexander, John et Norman (34 ans) ont tous été perdus en mer. C’étaient des hommes mariés avec de jeunes familles.

Les choses étaient très chaotiques lorsque nous sommes arrivés à Portsmouth. L’appel les avait évidemment pris au dépourvu et ils avaient du mal à faire face à un afflux aussi important de personnel. Il n’y avait pas de logement adéquat, pas même assez de hamacs pour nous tous.

Après un jour ou deux, ils nous ont rassemblés et ont dit à une section qu’ils pouvaient rentrer chez eux en attente d’un nouvel avis. Je n’étais pas dans cette escouade. Deux jours plus tard, le 13 août, ma section a été envoyée se présenter à l’infirmerie pour un contrôle. On devait être envoyés quelque part.

Nous ne sommes pas allés très loin. Nous avons été envoyés sur un croiseur léger qui faisait office de navire de garde au large de Southampton. Il y avait 45 hommes de Lewis à bord à ce moment-là. J’y étais d’août 1914 à avril 1915.

Cap sur les Dardanelles à bord du HMT Olympic !

En avril, j’ai été envoyé dans une école d’artillerie sur l’île Whale. Lorsque nous avons terminé notre formation en juin 1915, quatre d’entre nous ont été recrutés pour rejoindre un paquebot à Liverpool. Il y avait un Anglais, un de Shetland, un de Portskerra et moi-même.

Nous sommes arrivés à Liverpool et avons vu le navire que nous allions rejoindre. C’était un White Star Liner appelé l’Olympic. On m’a dit que c’était un navire de 50 000 tonnes, qu’il comptait 1 000 membres d’équipage et qu’il pouvait accueillir 10 000 passagers.

Olympic Première Guerre Mondiale
L’Olympic en 1915 à Moudros (2)

L’homme de Portskerra et moi étions assignés à un canon de 4,7 pouces sur le pont arrière. Les deux autres sur un canon avant de 12 livres. C’était un armement anti-sous-marin. Nous étions dans le Gladstone Dock pendant quelques jours sans avoir grand-chose à faire.

Ensuite, les soldats ont commencé à monter à bord, mais nous n’avions aucune idée de notre destination. Après avoir quitté Liverpool, nous avons appris que nous faisions cap sur les Dardanelles. Nous avons débarqués les troupes sur une île appelée Lemnos.

Ensuite, nous avons fait escale à Spezia en Italie, pour prendre du charbon car nous n’avions pas assez pour terminer le voyage de retour. Nous en utilisions 1 000 tonnes par jour ! Nous avons fait quatre voyages aux Dardanelles avec 10 000 troupes à chaque fois.

De la méditerranée à l’Atlantique Nord

Quand nous sommes revenus à Liverpool après le quatrième voyage, on nous a dit que nous allions changer de destination. C’est du côté de l’Atlantique que nous sommes allés prendre des soldats canadiens à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Je ne me souviens pas de la date à laquelle nous sommes partis pour Halifax, mais nous avons fait douze voyages à travers l’Atlantique. Encore une fois, nous emmenions environ 10 000 soldats à chaque fois. Après le douzième voyage, vers la fin du mois de décembre 1916, l’Olympic avait besoin d’entretien. Nous l’avons donc laissée à Belfast et sommes retournés à Liverpool.

Les canons que nous utilisions sur l’Olympic ont été démontés et nous ont suivi.

Je me suis renseigné sur l’Olympic après la guerre et on m’a dit qu’il a continué les transports de troupes tout au long de la guerre en toute sécurité.

11 janvier 1917, voyage inaugural du Brecknockshire

L’homme de Portskerra et moi avons été envoyés sur un autre navire, avec nos canons. Notre nouveau navire était un cargo de plus de 8 000 tonnes appelé le Brecknockshire.

C’était son voyage inaugural et on transportait une cargaison de charbon pour approvisionner des navires de guerre dans l’Atlantique Sud. Nous n’avons eu aucun problème jusqu’à ce que nous soyons à environ 500 miles au sud de Fastnet Rock, au large de l’Irlande du Sud. C’est là que nous avons rencontré une terrible tempête.

Le capitaine décida que la seule chose à faire était de mettre sa proue face au vent et de se faire secouer pendant trois jours. L’équipage était occupé à sécuriser tout ce qui risquait d’être emporté. Nous avons été appelés pour les aider à sécuriser une grue jumbo attachée au mât qui s’était libérée.

Après cela, on nous a ordonné d’aller donner un coup de main aux ingénieurs qui réparaient le boîtier de direction à l’arrière. Nous devions simplement leur passer les outils qu’ils demandaient et les aider de toutes les manières possibles.

La tempête faisait toujours rage sans aucune accalmie, mais nous avons réussi à descendre à l’arrière. Pendant que nous étions là-bas, une vague a traversé la porte et j’ai été jeté dans l’escalier tête la première. Mon bras s’est coincé entre la cloison et la main courante. Je suis resté là jusqu’à ce qu’on réussisse à me libérer avec des pieds-de-biche.

L’autre homme avait disparu et a été retrouvé plus tard, coincé sous un canot. Nous avons eu la chance de ne pas avoir été emportés par-dessus bord. Une fois la tempête un peu apaisée, nous sommes repartis.

La capture du cargo et de son équipage

Le 15 février 1917, alors que nous étions près des tropiques, nous avons remarqué de la fumée au loin. Comme il y avait toujours la peur des pillards allemands, le capitaine ordonna de pousser à pleine vitesse.

La panache de fumée s’est avéré être le raider allemand Möewe. Il était beaucoup plus rapide que nous et lourdement armé. Il nous a rapidement rattrapés et a commencé à tirer une fois à portée. La première volée est passée au dessus de nous mais la suivante nous a touché.

le cargo Brecknockshire construit par Harland & Wolff
Naufrage du Brecknockshire (1)

En fin de compte, le Brecknockshire a été si gravement endommagé qu’il ne pouvait plus continuer. Avant qu’il ne coule, je suis descendu dans notre cabine et j’ai pris une bible qui était posé sur le lit et l’ai mis dans ma poche. C’est le seul biens que j’ai pu sauver. Plusieurs membres de notre équipage ont été tués et avant que le navire ne coule. Puis les Allemands ont envoyé un bateau pour emmener les survivants à bord du Möewe.

Quand nous sommes montés à bord, il y avait déjà 7 ou 8 autres prisonniers à bord. C’était l’équipage d’une goélette qui venait de Géorgie du Sud avec une cargaison d’huile de baleine et avait été coulé par le raider. Si ma mémoire est bonne, nous étions à 25 degrés sud à ce moment là.

Prisonnier de l’ennemi

Le Möewe en action en 1916
Le SMS Möewe en 1916 (3)

Pendant que j’étais dans le raider, il a coulé 12 navires britanniques.

Je ne me souviens plus des noms de tous maintenant, mais l’un d’entre eux appelé Otaki avait des canons de 6 pouces et s’est battu.

Un de ses obus est arrivé là où nous étions et plusieurs Allemands ont été tués.

Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails de ces rencontres mais vous pouvez imaginer nos émotions. D’une part, nous voulions que les Allemands soient vaincus, mais nous savions que si le navire devait couler, nous coulerions avec lui, car nous ne pouvions pas nous échapper de l’endroit où nous avions été emprisonnés.

Nous étions retenus dans la cale arrière et enfermés avant chaque rencontre. Nous continuions maintenant vers le nord, nos conditions à bord empiraient tout le temps. Il y avait plus de 300 prisonniers à bord. En comptant l’équipage du Möewe, ça faisait entre 500 et 600 au total.

Les Allemands savaient que la Royal Navy était à leur recherche et ils ne voulaient laisser aucun indice qui donnerait une idée de l’endroit où ils se trouvaient.

Les conditions à bord empiraient sans cesse. À la fin, nous étions presque affamés car la nourriture consistait principalement de soupes aqueuses. Je ne peux pas trop blâmer les Allemands car je pense qu’ils manquaient de provisions.

On a continué vers le Nord, entre le Groenland et l’Islande jusqu’au Cap Nord en Norvège et dans les eaux territoriales jusqu’à notre arrivée à Kiel, le 22 mars 1917. Nous étions en mauvaise forme quand nous sommes arrivés. Le manque de nourriture, d’air frais et d’hygiène avait fait des ravages.

Enfin, pied à terre !

L’homme de Portskerra s’est effondré avant que nous ne débarquions. C’était un homme d’environ 85 kilos au départ, mais il n’en faisait plus qu’une soixantaine. Cependant, il s’est bien rétabli une fois qu’il a eu de quoi se nourrir correctement et de l’air frais.

Après avoir passé une semaine à Kiel, nous avons été envoyés dans un camp dans une petite ville appelée Dolan dans le sud de l’Allemagne. Nous étions là pour une autre semaine. C’était un camp de transit où nous étions nettoyés et nourris avant qu’il soit décidé de où nous envoyer ensuite.

A la fin de la semaine, nous étions à nouveau en mouvement. Cette fois dans un camp près de Brandebourg. Il y avait des travaux en cours à la rivière Havel et nous avons été envoyés y travailler. Là-bas, je suis tombé sur le seul homme de Lewis que j’ai rencontré de tout mon périple en Allemagne.

C’était un garçon de Point que j’avais connu à la pêche. Je ne lui ai parlé que brièvement car il était en route pour une autre destination. Nous sommes restés à Brandebourg pendant un certain temps, puis nous avons été envoyés à Lübeck sur la mer Baltique. Nous y faisions le même type de travail qu’à Brandebourg, mais cette fois-ci, nous travaillions sur un quai.

Pendant tout ce temps, nous n’avions aucune nouvelle de la guerre. Les lettres de chez nous étaient censurées et les Allemands ne nous ont jamais donné aucune information. Nous avons remarqué vers la fin de la guerre (bien que nous ne le sachions pas à l’époque) que les gardes devenaient plus amicaux envers nous.

La Première Guerre mondiale prend fin

Nous avons ensuite été envoyés dans un autre camp près de Gustrow et quand nous sommes arrivés, nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles les Allemands avaient été vaincus et que la guerre touchait à sa fin.

Un jour ou deux après notre arrivée à Gustrow, nous avons appris officiellement que la guerre était finie et que nous étions renvoyés chez nous.

Nous avons ensuite été conduits à Warrenmunde et sommes montés à bord d’un bateau qui nous a emmenés à Aarhus au Danemark.

Le camp de prisonniers de Gustow (4)

Comme il n’y avait pas de navire disponible là-bas, nous avons été envoyés dans un camp à Viborg, qui est assez éloigné des côtes. Lorsqu’un navire est arrivé, nous avons été ramenés à Aarhus où nous avons embarqué et avons navigué vers Leith.

Après quelques jours de retard à Leith, j’ai pu rentrer chez moi. Deux semaines après mon arrivée à la maison, j’ai reçu un mot pour me présenter à Stornoway où j’ai été examinée médicalement et j’ai reçu mes papiers de démobilisation.

J’ai maintenant 87 ans et Dieu a été bon avec moi pendant toutes ces années. Je devrais Lui être reconnaissant de m’avoir conduit en toute sécurité à travers les nombreux dangers en chemin.

Voilà donc un bref récit de ma vie entre 1914 et 1918.

Donald Stewart, 1979.

Sources : Ahoy Mac’s web blog, http://www.ahoy.tk-jk.net/Letters/CountNicholausGrafzuDahna.html / Le témoignage a été publié dans le « The Loch a Tuath News » en avril 2005. Le témoignage original est issu d’une cassette enregistrée en 1979. / Le Möewe, Wikipedia

Photos : (1) Brecknockshire, http://www.theyard.info/ships/ships.asp?entryid=453 / (2) 1915 Mudros Tasmania’s Online collection / (3) SMS Möewe https://en.wikipedia.org/wiki/File:SMS_M%C3%B6ve.jpg / (4) Güstrow, Australian war memorial, https://www.awm.gov.au/collection/C1269177