Nous sommes le 27 octobre 1914 au matin. La Première Guerre mondiale a éclaté il y a trois mois maintenant. Les sous-marins quadrillent les mers. Le RMS Olympic a quitté New York le 21 octobre. À bord, ses passagers s’apprêtent à rejoindre Greenock et le port de Glasgow en Écosse. Le temps est clair, la matinée s’annonce fraîche et la mer est un peu agitée.

Mais sur les ponts et dans les salons de l’Olympic, personne ne prête vraiment attention à la houle. Le gigantesque transatlantique trace son sillage avec une facilité déconcertante et rien ne semble pouvoir altérer le sentiment de fluidité et de stabilité qui caractérisent ses traversées.

Pendant ce temps, au large de Tory Island, le super-cuirassé de 23.000 tonnes HMS Audacious, sous le commandement du Capitaine Cecil Dampier, se prépare. Des exercices de tir en haute mer sont prévus pour le 2d escadron composé des navires Centurion, Ajax, Audacious, King George V, Orion, Monarch et Thunderer. Le Liverpool attend sur place avec les cibles et quelques remorqueurs qui seront en charge de les positionner.

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Le HMS Audacious (1)

Un bruit sourd

Il est 8h45 et l’Audacious est en plein virage quand un bruit sourd retentit à travers sa coque. Personne ne pense encore à une explosion et le Capitaine se rue sur le pont en demandant qui a fait feu. Le Lieutenant Galbraith répond immédiatement qu’aucun coup de feu n’a été tiré et le Capitaine ordonne alors immédiatement la fermeture des cloisons étanches.

Pensant alors à une attaque de sous-marin, Dampier ordonne aussitôt aux autres croiseurs de l’escadron de se disperser.

Une sacrée ironie du sort !

En réalité, une mine a explosé sous le navire à son flanc bâbord. La déflagration a ouvert une brèche dans la salle des machines bâbord qui se retrouve instantanément inondée entraînant avec elles les compartiments à proximité directe.

La mine a été posée ici quatre jours plus tôt par le SS Berlin, un navire qui sera récupéré par la White Star Line après la guerre et renommé Arabic.

Tout va très vite !

Le navire gîte très rapidement de 15° sur bâbord réduisant l’espoir d’une évacuation sécurisée grâce aux canots de sauvetage. Le Capitaine décide de noyer certains compartiments à tribord pour faire contrepoids. Il arrive de cette manière à réduire la gîte à 9° en moins d’une heure !

Alors que l’opérateur radio lance les S.O.S. de circonstance, Dampier tente une autre manoeuvre. Il veut essayer d’échouer l’Audacious à Louch Swilly qui se trouve à 25 miles du cuirassé. Mais le navire ne peut pas dépasser les 9 nœuds et il a énormément de mal à virer.

Pendant ce temps le HMS Liverpool décrit des cercles pour éviter un éventuel sous-marin et les remorqueurs prévus pour positionner les cibles se mettent en attente.

Le RMS Olympic à la rescousse du HMS Audacious

Quand le S.O.S. arrive à la cabine radio de l’Olympic, le Capitaine Haddock s’élance à toute vapeur au secours du cuirassé.

Sur l’Audacious, Dampier ne lâche rien ! Il arrive à couvrir une quinzaine de miles avant que les forces du navire ne l’abandonnent. Les machines principales sont maintenant sous l’eau et il n’est plus question d’avancer.

Sur le pont de l’Olympic, c’est l’effervescence. Depuis son arrivée sur les lieux à 10h30, les passagers se pressent contre les bastingages pour ne rien rater du spectacle. Les canots ont été préparés à se lancer à la rescousse des marins.

Il est maintenant 10h50 et l’Audacious est immobilisé. Les canots de l’Olympic et du Liverpool sont envoyés pour récupérer tous les marins non indispensables. Aux alentours de 14h00 il ne reste que 250 hommes à bord sur 900.

Un tout petit peu plus tôt, à 13h30, Haddock propose de prendre l’Audacious en remorque. Dampier accepte volontiers et les cordages sont tirés avec l’aide du Fury en 30 minutes seulement.

Le remorquage du HMS Audacious par le RMS Olympic

Le remorquage ne se passe pas aussi bien que prévu. Les vents poussent l’Audacious vers l’est alors que l’Olympic tire en direction du sud. La tension est trop forte, les câbles cèdent.

Le Liverpool et le Thornhill, qui vient tout juste d’arriver sur les lieux font une nouvelle tentative. Cette fois les câbles lâchent avant même d’avoir commencé pu avancer.

Sur les ponts de l’Audacious, c’est une véritable bataille contre la mer qui se livre. Chaque vague alourdit encore un peu plus le navire déjà très enfoncé par la poupe.

Certains passagers de l’Olympic en profitent pour immortaliser ces instants de lutte grâce à leurs appareils photo.

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Le Liverpool prend l’Audacious en remorque (2)

Il est 17h00, le soleil s’efface. Le Capitaine Dampier ordonne à 200 marins supplémentaires de quitter le navire. La houle s’est encore accentuée depuis le début de l’après-midi. Il devient vite évident que plus rien ne sauvera le navire. Le deck est déjà sous l’eau et la mer ballotte le cuirassé comme une vulgaire barque.

Ce que les ingénieurs découvriront plus tard, c’est que l’Audacious souffrait d’un défaut. Ses cloisons étanches étaient trop fines. L’explosion et la torsion provoquée par le poids soudain de l’eau engouffrée dans le navire ont tordu certaines parois et rendu impossible la bonne fermeture de certaines portes étanches.

À 18h15, les 50 derniers marins et le Capitaine quittent le cuirassé et le laissent au bon vouloir de Poséidon.

En tout ce sont 250 marins qui sont mis en sécurité sur l’Olympic. La mer est trop agitée et il n’est pas possible de récupérer les canots de sauvetage.

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Les marins de l’Audacious quittent le navire dans les canots de l’Olympic. (3)

Le naufrage du HMS Audacious

L’Olympic et les autres navires partent se mettre en sécurité à Lough Swilly. Seul le Liverpool reste sur place pour surveiller l’évolution de la situation.

Très vite, le naufrage s’accélère. À 18h50, l’Audacious marque déjà une gîte de 30° sur bâbord et à 20h45, il se retourne. Pendant 15 minutes, plus rien ne semble se produire. Soudain une explosion suivie par deux autres plus puissantes ! Elles proviennent de l’un des magasins de munitions et éventrent le navire à l’agonie.

Une pièce d’acier est projetée à plus de 700 mètres. Elle s’abat sur le Liverpool, tuant sur le coup un officier resté sur le pont. C’est la seule victime du naufrage.

Les passagers de l’Olympic en otages !

Une fois qu’il est arrivé à Lough Swilly, l’amirauté bloque l’Olympic et ses passagers sur place. Elle leur demandera de prêter serment de ne rien révéler sur l’incident.

La perte de l’Audacious est un sérieux coup porté à la flotte anglaise. Pour le commandant en chef de la flotte, John Jellico, il est hors de question que les Allemands se rendent compte de cette victoire.

L’Olympic reste donc sur place jusqu’au 2 novembre, le temps que l’affaire soit étouffée. Les courriers des passagers sont soigneusement censurés. Ce que l’amirauté n’anticipe pas c’est que beaucoup des passagers de l’Olympic sont américains ! Ils n’hésiteront pas à partager les photos qu’ils ont prises (ainsi qu’un film) à des journaux américains dès leur retour chez eux.

Si vous avez des informations sur la bobine du film n’hésitez pas à les partager en commentaires de cet article !

Le 19 novembre, l’Allemagne est déjà persuadée du naufrage et de nombreuses illustrations fêtent l’événement.

Il faudra quand même attendre le 14 novembre 1918 pour que l’amirauté avoue officiellement la perte de l’Audacious.

Le Times du jeudi 14 novembre 1918

HMS Audacious, annonce retardée. 

Le secrétaire de l’amirauté fait cette déclaration :

Le HMS Audacious a sombré après avoir heurté une mine au nord de la côte irlandaise le 27 octobre 1914. Cette information est restée secrète à la demande du Commandant en chef de la Grande Flotte et la presse s’est loyalement abstenue d’en faire la publicité.

Un secret de polichinelle

La perte du puissant cuirassé qu’était le HMS Audacious et la tentative de sauvetage par le RMS Olympic aux premières heures de la guerre a porté un coup sérieux aux capacités de la Navy.

Même si la tentative de garder l’information secrète peut faire sourire le lecteur averti quand des photos et même une vidéo du naufrage circulaient déjà deux semaines après les faits, Jellico a pris la bonne décision.

Le commandant de la flotte allemande, Reinhard Scheer commentera après la guerre :

«Dans l’affaire de l’Audacious, on ne peut qu’approuver l’attitude anglaise visant à cacher sa faiblesse à un ennemi. Car, la précision de l’information à propos de la force d’une flotte ennemie a un effet décisif sur les décisions qui sont prises.»

L’épave du HMS Audacious

L’épave de l’Audacious repose par 63 mètres de fond et a été retrouvée en 1995. Le navire se présente la quille en l’air. Si vous avez les habilitations de plongée nécessaires vous pourrez aller le voir de vos propres yeux en suivant ces coordonnées 55°32’16″N 7°24’33″W. Mais attention à son chargement de munitions toujours enfermées dans les cales. Elles font partie des plus grosses munitions visibles sur une épave.]

Après ces péripéties, l’Olympic fait route vers Belfast où il déposera ses passagers et sera mis en sécurité aux côtés de son Sister-Ship, le Britannic.

C’est ainsi que se conclue la première grande aventure de guerre qui aura mis en scène le HMS Audacious et le RMS Olympic. D’autres exploits du transatlantique suivront bien sûr, et finiront de lui coller le surnom affectueux de «Vieux Fidèle». Mais ça, nous le verrons dans un prochain article !

Samuel Longin

Sources : The Unseen Olympic, Patrick Mylon – p.66 à 68 / dreadnoughtproject.org / worldwar1.co.uk / lugnad.ie / blogs.scientificamerican.com / coastmonkey.ie