En ce début de 20ème siècle, les compagnies maritimes se livrent une lutte sans merci pour la domination de la ligne transatlantique. De cette véritable guerre économique va naître une légende qui fera parler d’elle pendant plus d’un siècle : la classe Olympic.
Si aujourd’hui encore, tout le monde connaît cette classe de paquebots, c’est parce qu’elle fut le décors d’une tragédie humaine hors du commun. Le naufrage du RMS Titanic.
Aujourd’hui, nous allons plonger aux origines de la classe Olympic. Nous allons comprendre le contexte qui a poussé à la création des trois paquebots qui la composent. Car réduire la classe Olympic à la tragédie du Titanic est bien trop caricatural et réducteur.
Et nous nous devons de nous souvenir du premier navire de cette classe, le RMS Olympic, qui n’a pas marqué les esprits par un naufrage retentissant mais a marqué des générations de passagers et a contribué à la grande histoire des transatlantiques du début du XXe siècle.
Une concurrence féroce
On est en plein dans le premier âge d’or des paquebots transatlantiques. Les coques acier permettent d’allonger les navires, et les systèmes de propulsion à hélices ont supplantés les voiles.
La Cunard et la White Star jouent des coudes pour prendre des parts de marchés entre l’Europe et les États Unis. Mais c’est sans compter sur les compagnies allemandes qui sous l’impulsion de Guillaume II font une entrée fracassante sur l’Atlantique !
Les compagnies allemandes frappent fort
En 1897, la Norddeutscher Lloyd (NDL) lance le Kaiser Wilhelm Der Grosse qui s’empare du ruban bleu. Trois ans plus tard, c’est le Deutschland de la H.A.P.A.G. qui devient le navire le plus rapide de l’Atlantique.
Les Allemands semblent avoir prit une bonne longueur d’avance et les autres compagnies ont du mal à suivre. Cependant, la vitesse incroyable des navires allemands a un inconvénient. Des vibrations incommodent les passagers et le confort est sacrifié par cet acharnement à vouloir aller toujours plus vite.
L’inconfort n’est d’ailleurs pas le seul prix à payer quand on s’obstine à vouloir être le plus rapide. La consommation massive de charbon du Deutschland poussera finalement sa compagnie à le transformer en navire de croisière en 1910 sous le nom de Viktoria Luise.
La Compagnie Générale Transatlantique
Du côté français, la C.G.T. vient de passer des années difficiles. Trois navires ont été perdus entre 1897 et 1898. Et le naufrage du paquebot La Bourgogne et ses 568 victimes a eu un effet dévastateur sur la confiance du public.
Son président, Eugène Péreire semble incapable de sortir la compagnie de cette mauvaise passe. En 1904, Péreire est remercié et le conseil d’administration renouvelé. C’est Jules Charles-Roux qui prend la direction de l’entreprise, et il compte bien faire rimer « paquebot français » avec « succès ».
La Provence est mis en service en 1906 et devient le plus grand et le plus rapide navire français. Cette même année, il réussit l’exploit de battre le Deutschland sur une course de vitesse médiatisée entre les familles Rockefeller et Vanderbilt !
En 1909, la quille du France est posée. Le paquebot qui sera mis en service le 20 avril 1912 est destiné à la ligne transatlantique. Et même si du long de ses 210 mètres, il ne rivalise pas en taille avec ses concurrents, sa vitesse de 24 nœuds est un sérieux atout pour la compagnie. Sans parler du luxe de ses aménagements qui lui colleront le surnom de « Versailles des mers » !
La Cunard Line
La compagnie anglaise, lancée en 1839 par Samuel Cunard a tout l’appui du gouvernement Britannique. Grâce à ce soutien financier, la Cunard est prête à reprendre le dessus sur les compagnies allemandes.
Elle vient tout juste de mettre en service ses deux nouveaux joyaux. Le Mauretania, sillone l’Atlantique Nord depuis 1906. Son jumeau le Lusitania l’a rejoint en 1907. Ensemble, les deux lévriers des mers reprennent le ruban bleu aux Allemands qui sont les plus rapides depuis 1898. Le Mauretania réalisera d’ailleurs l’exploit de conserver le titre de 1909 à 1929 !
Mais ce serait une erreur de penser que les deux paquebots de la Cunard se contentent d’être rapides. Ils sont aussi les plus grands navires du monde et offrent un confort très poussé. Le Mauretania par exemple, propose pour la première fois les services d’un ascenseur à ses passagers de première classe.
Le Mauretania et l’Olympic seront liés dans les épreuves. Ils serviront tous les deux comme transporteurs de troupes pendant la Première Guerre Mondiale. Et ils finiront leurs jours ensemble en 1935 sur les quais de Southampton avant d’être démantelés.
La White Star Line doit réagir
Dirigée par J.B. Ismay depuis la mort de son père Thomas Ismay, la White Star Line est une compagnie florissante qui en 1899 amorce un virage stratégique important.
Avec la mise en service de l’Oceanic en 1899, l’armateur décide d’abandonner la course à la vitesse pour se concentrer sur le confort et la sécurité de ses passagers.
D’un point de vue structurel, la compagnie est rachetée en 1901 par la International Mercantile Marine Co., propriété du richissime J.P. Morgan qui y voit une opportunité de dominer le transport transatlantique.
De 1901 à 1907 sont mis en service les paquebots qui composeront le célèbre Big Four de la compagnie. Les Celtic, Cedric, Baltic et Adriatic ne sont absolument pas conçus pour la vitesse, mais bien pour offrir une expérience hors du commun à ses passagers grâce à un luxe et un confort inégalé.
En 1907, la White Star est mise au pied du mur par la Cunard qui vient de mettre en service ses deux lévriers. Si la compagnie veut rester dans la course et assurer son avenir financier sur la ligne transatlantique, il va falloir frapper vite et fort.
La bonne nouvelle c’est que le rachat de la compagnie par le groupe de J.P. Morgan permet d’investir dans de nouveaux paquebots rapidement.
Un dîner à Belgravia
Pendant l’été de cette même année, Lord Pirrie, directeur des chantiers Harland & Wolff invite J.B. Ismay dans sa résidence de Belgravia. Ils discutent ensemble de la stratégie à adopter face à la Cunard.
De ce dîner naîtra une idée, celle de bâtir une série de trois paquebots plus grands et plus luxueux que tout ce qui a déjà été créé à ce jour !
En émettant cette simple idée, Ismay et Pirrie viennent de bousculer le cours de l’histoire. Désormais, tout ce qu’ils feront les rapprochera de la catastrophe maritime la plus emblématique que le monde ait connu.
(…) Impossible pourtant d’imaginer que l’histoire va n’importe où, qu’elle est un pur hasard, qu’elle est et reste à jamais accidentelle et contingente. Au delà du hasard, sous le hasard, derrière le hasard, il y a une nécessité (…) Il ne peut pas y avoir une autre histoire que celle qui a eu lieu.
Et moi je vis toujours, Jean D’Ormesson de l’Académie Française
La classe Olympic est née
Conceptuellement, l’idée se précise rapidement. Les navires devront être plus longs que leurs concurrents de 100 pieds (30 mètres) et jauger 45.000 tonnes. L’accent devra être mis sur le luxe, le confort absolu des passagers et une sécurité à toute épreuve.
Maintenant que l’idée est posée sur le papier et que Lord Pirrie et J.B. Ismay sont arrivés à un accord, il est temps de mettre les architectes Carlisle et Andrews au travail sur les nouveaux géants des mers.
La conception et la fabrication des paquebots de la classe Olympic sera un véritable défi humain et technologique. Mais ça, nous le verrons dans un prochain article !
Samuel Longin
Sources : Paquebots de légende – Christian Mars / History of the Olympic class liners – Milos Grkovic, p.4 et 5 / thegreatoceanliners.com /
Photos : (1) Plan : Engineering journal vol.91, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Titanic_side_plan_1911.png / (2) Carte postale du France, 1912, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Colour_Drawing_of_the_SS_France.jpg / (3) Le Mauretania WW1, Imperial war museum, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mauretania_war.JPG / (4) L’Oceanic, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Colorful_Oceanic.jpg