Il y a des navires qui ont des histoires vraiment incroyables. Des paquebots qui sont allés bien au delà de ce qu’on attend de ces coquilles d’acier. Et il y a un paquebot dont je me devais de vous parler tant son histoire m’a surpris. Il s’agit du RMS Germanic.

Si je tiens à vous parler de ce paquebot commandé par la White Star Line aux chantiers navals Harland & Wolff, c’est que malgré deux naufrages (oui, deux !) il eut une carrière de 75 longues années. Soit trois fois plus longue que celle du RMS Olympic.

Alors cette semaine, je vous invite à quitter le pont de l’Olympic. Venez faire un tour sur les docks à la rencontre du RMS Germanic et de son histoire.

Un début de carrière prometteur

Le Germanic est le petit frère du Britannic (premier du nom), mis en service en 1874 pour la White Star Line.

Du long de ses 143 mètres et 5.000 tonneaux il peut atteindre une vitesse de 16 nœuds grâce à son unique hélice. Techniquement il est un jumeau presque parfait du Britannic. La plus grande différence entre les deux transatlantiques réside dans leurs arbres d’hélice.

Le Britannic profitait d’un système innovant permettant de régler la hauteur et inclinaison de l’hélice même en pleine mer. L’intérêt de ce système était d’éviter les vibrations désagréables générées par l’hélice quand elle sort de l’eau par gros temps. Ce système permet aussi de sortir l’hélice de l’eau et d’y effectuer des réparations sans avoir à mettre le navire en cale sèche.

Malheureusement ce système montra vite ses limites. Extrêmement coûteux en entretien et bridant la vitesse du navire par temps calme, il ne fût pas adopté sur le Germanic.

Outre ce système, le navire est équipé de ce qui se fait de mieux d’un point de vue technologique. Son gouvernail est actionné par un moteur à vapeur indépendant. Des télégraphes permettent de transmette les ordres à travers le navire. Sa coque est divisée en 9 cloisons étanches. Ses machines alternatives possèdent 2 cylindres basse pression et deux cylindres haute pression. Quant à la vapeur, elle est produite par 8 chaudières ovales réparties dans deux compartiments différents.

Lorsqu’il sort des chantiers Harland & Wolff, il est considéré comme le navire le plus rapide et sûr de l’Atlantique.

le RMS Germanic
Le RMS Germanic dans sa configuration initiale (1)

Départ sur la ligne transatlantique

Le Germanic est livré à la White Star le 24 avril 1875. Son voyage inaugural entre Liverpool et New York commence le 20 mai. Comme c’est de coutume sur les paquebots, les cabines sont loin d’être pleines lors de ce premier voyage. Il faudra attendre la pleine saison pour que les 180 couchages de Saloon class (nom employé pour la 1ère classe) et les 1.100 d’entrepont (3ème classe) soient comblés.

Ce premier voyage dure 10 jours mais ne vous y trompez pas, le RMS Germanic est taillé pour la vitesse ! Quelques semaines plus tard, en juillet 1875, il décroche le Ruban Bleu pour sa traversée vers l’Est. Son record : 7 jours, 11 heures et 17 minutes.

En parlant de propulsion, le détail ne vous aura surement pas échappé, le Germanic est équipé de quatre mats. Ils sont prévus pour supporter une voilure complète de secours. Ces voiles se montreront particulièrement utiles en janvier 1893 quand l’arbre d’hélice brisa au large de l’Irlande. Elle permettent alors au navire de rejoindre le port de Waterfort sans encombre.

Une refonte massive à Belfast

En 1895, le RMS Germanic a déjà 20 ans. La White Star décide de l’envoyer chez Harland & Wolff pour une lourde refonte.

Au menu : remplacement de la machine alternative par une machine à vapeur à triple expansion plus économique et efficace. Ainsi que de nouvelles chaudières Haute Pression. L’opération lui permet de gagner 1 nœud de vitesse de croisière. Ses voiles sont définitivement retirées, un pont est ajouté et ses deux cheminées sont remplacées par des modèles plus hauts.

Le SS Germanic après sa refonte de 1895
Remarquez les différentes altérations visuelles apportées par la refonte de 1895 (2)

Premier naufrage

Quand il arrive à New York au Pier 45 le 11 février 1899, le navire comme ses passagers et membres d’équipages sont éreintés. La traversée s’est terminée avec 2 journées de retard à cause du blizzard. Lorsqu’il arrive à quai, le Germanic ressemble à un paquebot fantôme. Ses ponts, superstructures, mats… Tout est couvert d’une épaisse couche de glace. Les promenades et couloirs ont l’air de cavernes de glace et le navire gîte fortement sur tribord.

On estime alors que le paquebot est chargé de 500 tonnes de glace et son équipage équipé de pics et de pelles s’affaire à la dégager.

Le 13 février, le navire est en cours de réapprovisionnement de charbon. Une barge de ravitaillement est arrimée sur bâbord et les trappes permettant d’introduire le charbon dans les soutes du navire sont ouvertes. Mais au fil de la journée le temps a empiré et la North river est extrêmement agitée.

Le Germanic, rendu relativement instable par les tonnes de glace toujours présentes sur ses ponts roule de plus en plus. A 21h30, un mini-ouragan frappe la North river et pousse le navire à se coucher de quelques degrés de trop sur son flanc bâbord. L’eau s’engouffre alors par les trappes des soutes à charbon et le navire coule rapidement à quai.

La course contre la montre

Par chance, la marée est basse, le niveau de l’eau n’atteint pas ses ponts supérieurs et le navire devrait être sauvé. S’ensuit une bataille contre la montre pour envoyer des plongeurs fermer les soutes et des équipes pomper l’eau hors du navire alors que celui-ci s’enfouis de jours en jours un peu plus dans la vase.

Après de longues journées d’efforts et quelques retournements de situation (comme un hublot ouvert qui rendait inutiles les premiers jours de pompage…) le Germanic est finalement renfloué le 23 février.

Suite à son passage en cale sèche les 25 et 26 février, personne ne peut encore estimer le coût des dégâts. Par contre le navire semble capable de se rendre aux chantiers Harland & Wolff. Le 8 mars, il repart donc sur l’Atlantique en direction de Belfast où il arrive 10 jours plus tard par ses propres moyens.

Ses décorations sont renouvelées et un bon coup de peinture est nécessaire mais en 3 mois, le paquebot est prêt à reprendre du service en juin 1899 !

Le Britannic part en guerre et termine sa carrière

De son côté, le jumeau du Germanic, Britannic est réquisitionné par la Royal Navy le 1er juillet 1899. Il sert alors de transporteur de troupes sur le front Sud Africain. Pendant ces trois ans de service militaire, son commandement est assuré par Bertram Fox Hayes. Oui, le même Hayes qui quelques années plus tard éperonnera un U-boat allemand à bord du RMS Olympic !

Mais étant donné que le Britannic était à l’origine sous le commandement du Capitaine Herbert J. Haddock, ce dernier est transféré sur le Germanic en remplacement du Capitaine Mc Kinstry.

Malheureusement, 5 voyages seulement après cette prise de poste, le Germanic a un nouvel accident. Alors que le navire quitte Liverpool en direction de Cherbourg, le brouillard est tel qu’une barge vient s’encastrer à pleine vitesse dans le flanc du paquebot.

Le choc est si violent que les deux navires restèrent encastrés. Retour aux chantiers !

Le Britannic, quant à lui, est finalement remis à la White Star Line en 1902, et est inspecté par les chantiers de Belfast. Les coûts de remise en état et de modernisation sont alors jugés trop lourds pour un navire de 29 ans. Sa carrière est terminée. Le 11 aout 1903, il quitte une dernière fois Belfast en direction de Hambourg en Allemagne ou il sera démantelé.

Le RMS Germanic passe de mains en mains

Après 28 ans au service de la White Star Line, le Germanic effectue son dernier voyage vers New York pour la compagnie du 3 au 10 septembre 1903. Il est alors mis en charter à disposition de l’American Line. Le navire reste donc sous le giron de l’International Mercantile Marine (I.M.M.) qui possède les deux compagnies. Il ne fera que 6 voyages Southampton-New York avant d’être vendu à la Dominion Line, elle aussi propriété de l’I.M.M.

La page des traversées transatlantique se tourne pour un temps. En 30 ans de carrière, le RMS Germanic a déjà parcouru 1,5 million de miles en 211 allers-retours transatlantiques.

Renommé Ottawa le 5 janvier 1905, il passe quatre années à faire le lien entre Liverpool ,Québec et Montréal pendant les saisons d’été. Ses clients sont maintenant exclusivement des immigrants.

En mars 1911, il est vendu au gouvernement Impérial Ottoman. Rebaptisé Gul Djemal, il quitte Liverpool le 15 mai 1911 pour rejoindre une flotte de 5 transporteurs de troupes. Son nouveau nom, Gul Djemal, est un hommage à la mère du Sultan Mehmed V.

Dans le même temps, en juin 1911, le RMS Olympic part pour la toute première fois à la conquête de l‘Atlantique.

La carrière militaire du Gul Djemal commence juste avant la Première Guerre mondiale. L’administration Ottomane l’utilise alors pour le transport de troupes turques vers le Yémen. Mais un autre conflit plus violent encore éclate et déchire le monde.

La Première Guerre mondiale

Lorsque l’empire Ottoman s’allie avec l’Allemagne le Gul Djemal se retrouve dans le camp opposé à l’Olympic. Les deux paquebots seront assignés à la même mission (mais pas en même temps) : transporter des troupes vers le front de Gallipoli. Cette nouvelle mission s’avère terriblement périlleuse.

Nous sommes le 3 mai 1915 au large de l’île lde Kalolimno. Le Gul Djemal compte à son bord entre 4 et 6.000 troupes (sources contradictoires) ainsi que de l’armement destiné au front de Gallipoli. C’est ce moment que choisit le sous-marin anglais HMS E14 pour lancer une torpille dans sa direction. L’engin heurte le navire dans une formidable explosion.

L’équipage tente alors de l’échouer tant qu’il peut avancer. Mais les neuf compartiments étanches du navire ne le sauvent pas du naufrage. Il coule laissant ses superstructures dépasser des eaux peu profondes qu’il avait rejoint.

Quatre jours plus tard, le torpillage du Lusitania tue 1.200 civils.

Renfloué pour la seconde fois de sa carrière, le navire est rapatrié à Istanbul. Là-bas, il sera remis en état avant de repartir en mission.

Le paquebot servira dans un autre évènement tristement célèbre, l’échange de population entre la Turquie et la Grèce.

Une nouvelle carrière commence

Le Gul Djemal retourne à la vie civile le 10 octobre 1921 pour le compte de la Ottoman-America Line. C’est le tout premier liner à vapeur Turc a traverser l’océan Atlantique. La ligne qu’il suit part de Constantinople, passe par Varna, Constanza et Odessa avant de filer droit sur New York. A bord, des migrants en quête d’une vie meilleure.

A chaque arrivée à New-York, les curieux et les marins se ruent sur les quais pour voir ce spectacle inédit d’un steamer transatlantique à équipage Turc. Le navire ne fera que 4 traversées vers les Etats-Unis puis se contentera des routes de la mer noire, de la mer Égée et de la Méditerranée.

Il entre alors dans les cœurs des populations locales. On le retrouve dans des chansons et des poèmes. Les escales très fréquentes qu’il faisait dans les ports de la mer noire pour y déposer cargos et passagers inspira un dicton :

« Ne t’arrête pas partout comme le Gul Djemal. Dépêches-toi ! »

En 1928, le navire est vendu à la Turkiye Seyrisefain Idares et renommé Gülcemal. C’est sous ce nom qu’il va devenir transporteur de fret.

Nous sommes en janvier 1931 dans les environs du phare de Hora dans la mer de Marmara quand le Gülcemal s’échoue. Il est secouru in extremis encore une fois. En 1937 il est retiré du service.

Pendant ce temps, l’Olympic est désarmé et démantellé à Jarrow.

La fin d’une longue carrière

Peu d’informations ont survécus aux décennies sur le reste de sa carrière. Il fût épargné par la Seconde Guerre mondiale et il ne semble pas qu’il ait joué un rôle dans les conflits. Son nom disparaît des registres internationnaux Lloyd en 1945. En 1949 ses superstructures sont découpées et il sert de lieu de stockage.

Enfin en 1950 il semblerait qu’un projet ait été envisagé pour en faire un hôtel flottant. Mais le 29 octobre 1950, le Gülcemal est envoyé à Messina en Italie pour être détruit.

La légende veut que lors de son démantèlement, les ouvriers aient retrouvé le long de sa coque la ligne de peinture dorée le long de sa coque. Le dernier vestige de celui qu’on appelait autrefois le RMS Germanic et qui eut une carrière longue de 75 ans, soit la seconde plus longue vie pour un paquebot.

Samuel Longin

Sources : Merci à Mark Doherty de m’avoir fait connaitre cette incroyable histoire / Titanic-Titanic.com – RMS Germanic / Encyclopedia Titanica – News from 1899 / The Ships of Vivekananda – Somenath Mukherjee & Advaita Ashrama / Freeshipplans – SS Germanic

Photos : (1) RMS Germanic, Library of congress, http://loc.gov/pictures/resource/det.4a15895/ / (2) SS Germanic en 1899, Library of congress, https://www.loc.gov/pictures/resource/cph.3b15132/