Il y a des Capitaines qui marquent de leur nom l’histoire d’un navire et de toute la marine. L’homme dont je vais vous parler aujourd’hui fait clairement partie de cette catégorie. Plongeons ensemble dans la vie du Capitaine Bertram Fox Hayes et ses liens avec le RMS Olympic.
Cet article est ma tentative pour rendre hommage à l’homme qui a donné ses lettres de noblesse à l’Olympic.
Bertram Hayes prend la mer
Bertram Fox Hayes est né le 25 avril 1864 dans la ville de Birkenhead en Angleterre. Il a tout juste 4 ans quand sa famille déménage à Goole. Son père y a trouvé du travail à la Goole Steamship Company.
A l’époque, ce sont les dernières générations de marin à débuter leurs carrières dans la marine à voile. Même si les voiliers sont déjà une espèce en voie de disparition, il est de coutume d’envoyer les jeunes apprentis faire leurs armes « à l’ancienne ». Une fois leur brevet de matelot chef en poche, libre à eux de rejoindre l’équipage d’un vapeur. Ils repartent alors du bas de l’échelle, en tant que quatrième officier.
Même s’il s’est plié à la coutume, Hayes ne comprend pas en quoi le fait de servir sur un voilier soit un avantage quelconque avant de passer sur un vapeur. Et il se félicite que les jeunes marins n’aient plus à vivre « une carrière avant leur carrière ».
Mais revenons-en à notre ami. En 1878, Bertram Hayes a 14 ans. Son père le fait entrer dans la Goole Steamship Company en tant que commis junior. Deux ans plus tars, il décide de suivre les pas de l’un de ses frères en s’engageant le 5 juillet 1880 sur le Laomene.
Premiers pas dans la marine à voile
Le Laomene, navire de 80,1m de long pour 1797 tonneaux vient tout juste d’être livré par les chantiers W.H. Potter & Son à Liverpool à la compagnie H. Ferrie & Sons.
Placé sous la responsabilité du Capitaine Hughes, le trois mâts quitte Liverpool pour sa première traversée en direction de Calcutta. Les 169 jours de mer se passent sans encombre. Hayes réussi même à vaincre son mal de mer en trois jours seulement grâce aux sages conseils de Hughes.
Le second voyage du Laomene permet au jeune Hayes de découvrir Melbourne.
Là bas tout marin pouvait avoir trois petites amies (…) Je sais pas si c’est les boutons en laiton ou quoi… mais les filles se ruaient aux bateaux.
Bertram Hayes sur son arrivée à Melbourne, Hull Down p36
Quelques mois plus tard, il découvre New York. Le pont de Brooklyn vient tout juste d’être inauguré (le 24 mai 1883). Il entend d’ailleurs parler de la bousculade qui a fait 12 victimes quelques jours après l’inauguration parce qu’une rumeur prétendait que le pont menaçait de s’effondrer.
De retour à Londres, Bertram Hayes reçoit une triste nouvelle. L’un de ses frères qui s’était lui aussi engagé en mer vient de faire une chute mortelle. Pendant les quelques jours que prend Hayes pour se recueillir en famille, il rate ce qu’il décrit comme « la plus excitante aventure du Laomene » :
Le remorquage de tous les dangers
Alors que le navire est remorqué au large de l’île de Wight par gros temps, le filin de remorquage lâche. Très rapidement, le remorqueur perd totalement le visuel sur le navire et se met à l’abri pour éviter un catastrophe.
Pendant ce temps, l’équipage du Laomene fait tout ce qu’il peut pour ne pas être emporté directement sur les rochers. Et grâce à leur sang froid, ils arrivent à ancrer le voilier à l’abri sans que le moindre dommage ne soit à déplorer !
Le lendemain matin, l’équipage du remorqueur a la surprise de découvrir que le Laomene est ancré à quelques centaines de mètres seulement, sain et sauf. Les opérations reprennent sans plus tarder.
Quand Bertram Hayes frôle la mort
Lors d’un voyage qui conduit le voilier sur l’île Maurice, Hayes attrape la fièvre typhoïde. La maladie lui donne de violentes hallucinations et le cloue dans un lit d’hôpital pendant 9 semaines. Sur les quatre matelots malades, il est le seul survivant.
Pendant son hospitalisation, le Laomene a du lever l’ancre bien sûr. Mais le Capitaine Hughes a pris soin de laisser 100£ pour régler les soins et le rapatriement de Hayes à Londres.
Le Capitaine Hughes qui commandait le Laomene était l’un des meilleurs marins avec lesquels j’ai navigué. Il savait conserver la discipline tout en respectant toujours ceux qui naviguaient sous ses ordres. Je suis extrêmement reconnaissant pour toutes les preuves de sympathie qu’il m’a accordé pendant tout mon apprentissage. Son bon exemple m’a servi de modèle durant toute ma carrière.
Bertram Hayes à propos du Capitaine Hughes, Hull Down p25
Quand il rentre enfin à Liverpool fin avril 1884, le médecin de famille prescrit à Bertram trois mois de repos. Hayes retourne ensuite voir ses employeurs chez Ferrie & Sons mais ils ne semblent pas ravis de l’accueillir. Son contrat d’apprenti vient d’expirer et ils ne lui proposent pas d’autre poste.
Un échelon à la fois
La fièvre typhoïde a retardé Hayes dans ses projets. Il n’a pas encore validé 4 années en mer, impossible donc de postuler au rang de matelot seconde classe (Mat2). Il trouve un poste de troisième classe sur le Falls of Afton de la compagnie Wright Breckenridge. Construit en 1882 par les chantiers Russell & Co de Greenock, le navire de 84,3 mètres est dirigé par le Capitaine Seaton.
Mais Hayes n’y reste que quelques mois. En septembre 1885, il peut enfin passer Mat2 sur le Loch Bredan. Il rejoint le navire le 25 septembre et reçoit ses ordres du Capitaine Cumming. C’est enfin sur le Loch Cree qu’il accumule suffisamment de temps en mer pour passer son certificat de matelot première classe (Mat1) le 3 novembre 1887.
Un dernier passage à voile mouvementé
Ne trouvant pas de poste de Mat1 à Liverpool, Hayes s’embarque comme Mat2 sur le Falls of Dee. Ce jumeau du Falls of Afton est sous les ordres du Capitaine Scotch. Chargé de rails de chemin de fer à destination de San Francisco, il quitte Liverpool le 20 décembre 1887.
Il est 22h00, au large de Cape Finisterre quand le voyage prend une tournure inattendue. La houle est forte et le roulis du navire fait céder les ancrages de la cargaison d’acier qui se libère. En quelques secondes, le Falls of Dee est entraîné sur son flanc tribord. Sa gîte laisse la mer affluer sur le pont. Par miracle, aucun homme d’équipage ne tombe à la mer et le navire semble stabilisé.
Le lendemain matin, la lumière du jour permet à l’équipage de descendre dans les cales pour constater les dégâts. Là, c’est le soulagement. Les rails ont été en partie stoppés dans leur course folle par le mât principal. Autour du mât, ce sont 8 épaisseurs de rails qui se sont pliées dans leur élan. Si rien ne les avait stoppé, la coque aurait certainement cédée.
Quelques heures plus tard, la cargaison est à nouveau sécurisée et le Falls of Dee peut reprendre sa route. Le navire passe la Golden Gate* le 2 juin 1888. 157 jours ont été nécessaires pour cette traversée.
*La Golden Gate, ou Porte dorée est l’embouchure qui marque l’entrée de la baie de San Francisco. Le pont du Golden Gate n’est pas encore construit à l’époque du récit de Hayes. Sa construction n’ayant débutée qu’en 1933.
Des ivrognes et des marins d’eau douce
Comme toujours quand un navire arrive dans un port étranger, les membres d’équipage ont tendance à se volatiliser. Il faut donc remplacer les déserteurs par de nouveaux marins. Facile à dire car rares sont les volontaires ! Tous demandent des avances en titres et en espèce. Hayes décrit ces hommes comme étant « pour la moitié ivrognes et l’autre moitié même pas marins ».
Un officier armé est chargé de leur surveillance. Il s’assure qu’aucun de ces matelots chèrement recruté ne quitte le navire après avoir reçu son avance sur salaire. Heureusement, quelques marins expérimentés n’ont pas déserté et la discipline est relativement respectée.
Le Falls of Dee repart donc cette fois en direction du Havre où il accoste le 4 aout 1888 après 140 jours en mer.
Bertram Hayes a accumulé les 12 mois requis en tant que matelot. Il est fin prêt pour passer son certificat et entrer dans la prestigieuse famille des navires à vapeur !
Les débuts de Bertram Hayes dans la White Star Line
Après avoir passé son certificat au collège naval de Liverpool le 13 février 1889, il commence par se renseigner sur les différentes compagnies maritimes qui pourraient l’intéresser. C’est la White Star Line qui lui semble offrir les meilleures perspectives d’avenir. Il postule et passe un entretien devant le surintendant de la compagnie.
Surintendant : Vous n’avez jamais été chef matelot.
Bertram Hayes : Non, Monsieur, le conseil qu’on m’a donné quand j’ai pris la mer était d’obtenir mon certificat le plus vite possible, puis de rejoindre une bonne compagnie et d’y rester si possible.
Surintendant : Un voyage en tant que chef matelot est une expérience utile… Vous pouvez rejoindre le Coptic à Londres après demain ?
Bertram Hayes sur son entretien d’embauche à la White Star Line, Hull Down P61.
Deux jours plus tard, Hayes rejoint le Coptic au poste de quatrième officier. Il est sous les ordres du Capitaine Burton. Le navire largue les amarres le 13 mars en direction de le Nouvelle Zélande.
Hayes se sent un peu déboussolé loin du tumulte qui règne en permanence sur les voiliers. Sur un vapeur tout semble bien plus calme et plus strict. Mais certains aspects le séduisent immédiatement. Par exemple l’accès à l’eau sans restriction et les trois repas par jour…
Le 28 janvier 1891, il est transféré sur le Teutonic. Toujours en tant que 4ème officier mais cette fois sur la route transatlantique. C’est sur ce navire que l’officier Hayes va enchaîner les promotions jusqu’à prendre son commandement en 1899.
Hayes rejoint la Royal Naval Reserve (R.N.R.)
En janvier 1893, Hayes commence sa carrière de réserviste en tant que sous-lieutenant de la Royal Naval Reserve. Sa formation se fait sur le HMS Eagle, un navire de guerre centenaire. Les canons semblent d’époque et Hayes se demande si cet entrainement sera vraiment utile pour les manœuvres sur navires de guerre modernes.
D’ailleurs, il n’y a pas que les canons qui datent du 18ème siècle. L’immense majorité des pratiques enseignées sont dépassées et inapplicable sur les vaisseaux modernes… Quant aux instructeurs, et bien disons que leur enthousiasme était surement resté quelque part sur le quai !
Mais il en faut plus pour rebuter Hayes qui gravit les échelons jusqu’à devenir Lieutenant en 1895. Le plus haut rang accessible aux réservistes.
Il reprend ensuite son service auprès de la White Star Line en prenant le poste d’Officier chef sur le Germanic. Il épaule alors le Capitaine McKinstry.
Bon voyage Capitaine Hayes !
Bien qu’il ait passé un nouveau certificat le 13 mai 1898, il faut près d’un an pour que Hayes devienne Capitaine. Le RMS Oceanic, plus grand paquebot du monde, fait ses débuts sur la ligne transatlantique et le Capitaine John G. Cameron qui a supervisé sa construction en est désigné maître à bord. Hayes se retrouve désigné Commandant temporaire du SS Britannic par Thomas H. Ismay en personne.
Il rejoint sa nouvelle affectation le 12 juin 1899 et largue les amarres le 19 juillet 1899 pour sa première traversée vers New York en tant que Capitaine.
Apparemment, tout le monde n’était pas rassuré de savoir Hayes placé à ce poste. Juste avant le grand départ, Bruce et James Ismay viennent le voir à bord pour lui rappeler toutes les règles et précautions à suivre. Le Capitaine Hewitt, surintendant de la White Star monte lui aussi à bord et souhaite chaleureusement bonne chance au tout nouveau Capitaine Hayes.
Bien sur, le commandement de Hayes ne devait être que temporaire. Après quelques traversées, il aurait dû être nommé Officier chef de l’Oceanic. Mais après seulement trois traversées sur le Britannic un événement imprévu vient tout chambouler…
La seconde guerre des Boers éclate
L’Afrique du Sud s’embrase. C’est la seconde guerre des Boers qui éclate le 11 octobre 1899. Hewitt convoque le Hayes et l’informe qu’il va prendre le commandement du Nomadic, un transbordeur affecté au transport de chevaux vers Le Cap (capitale de l’Afrique du Sud).
Hayes ne semble pas emballé par l’idée, il n’a jamais géré le transport de chevaux. Par chance, quelques jours plus tard, l’amirauté change de plan et décide de réquisitionner le Britannic pour le transport de troupes. Le choix du Capitaine semble évident, le R.N.R. et commandant du navire : Bertram Hayes.
La course contre la montre commence. On laisse une semaine à Hayes pour transformer le navire civil en transporteur de troupes. Ce premier transport préparé à la hâte quitte Liverpool le 24 octobre 1899. Et le moins qu’on puisse dire c’est que l’amirauté semble perplexe lors de l’inspection qui précède le grand départ.
Chaque espace est occupé par des denrées, du charbon ou de la poussière. Mais Hayes sait qu’il aura le temps de terminer les préparatifs avant d’arriver à Queenstown pour embarquer les soldats vers Le Cap.
La routine à bord du transporteur de troupes HMT Britannic
A bord, les régiments et l’équipage trouvent vite leur rythme de croisière. Tous les matins sont consacrés aux exercices physiques des soldats. Les après midis offrent plus de libertés avec des lectures et le soir des chants.
Évidemment les lectures cèdent vite place à une toute autre activité : les jeux et paris. Les soldats sont payés à la semaine et n’ont rien d’autre à faire de leur argent que de le jouer. Rien d’étonnant donc à ce que des jeux illégaux comme « Crown and Anchor » ou « House » envahissent les ponts du navire.
Hayes tente de réguler les jeux illégaux mais un jour, alors qu’il sermonne un soldat celui ci lui répond simplement « Que voulez vous que l’on fasse de cet argent ? On part pour se faire tuer… » A partir de ce jour, tant qu’aucun produit illicite n’est échangé ou que les lieutenants à bord n’y voient pas d’objection, Hayes laisse les soldats libres de dépenser leur solde comme bon leur semble.
Certains soldats s’en sortent d’ailleurs plutôt bien. L’un d’entre eux s’offre même le luxe d’envoyer 25 pounds à chacune de ses deux petites amies au pays ! D’aucuns y verront la preuve qu’il les aimait autant l’une que l’autre.
Le Britannic est bien connu et apprécié des troupes pour sa cuisine. Le « Old Ship », comme le surnomme l’équipage se targue d’avoir les meilleurs cuisiniers et la meilleure table de tous les transporteurs de troupes. Et vous le savez, un homme bien nourri est un homme heureux.
C’est peut être pour cette raison qu’aucune bagarre ou aucun autre incident n’assombrit l’ambiance qui règne pendant les traversées.
Changement de mission
Les besoins en transporteurs de troupes se réduisent. Après plusieurs voyages couronnés de succès, l’amirauté songe à décommissionner le Britannic.
Alors que le navire est stationné à Southampton au début de l’année 1901, Hayes reçoit l’Officier Divisionnaire des Transports et son assistant à bord. Pendant cette visite d’inspection, l’assistant émet de nombreuses critiques négatives sur le navire. Il finit même par annoncer que le Britannic ne serait pas apte au transport de troupes !
Évidemment Hayes réagit pour défendre son navire. Comment un paquebot qui a déjà effectué 3 à 4 transports avec succès, et qui a chaque inspection de la Navy, des médecins ou des militaires a reçu des rapports plus que favorables, pourrait d’un coup devenir inapte au service ?
L’Officier ne peut qu’aller dans le sens de Hayes et le Old Ship n’est pas décommissionné.
Rapatriement des troupes Australiennes
Vient ensuite le temps du rapatriement, et ce n’est pas toujours un spectacle plaisant à l’œil. Lorsqu’ils quittent le front, les soldats ont le choix : Recevoir un uniforme neuf, ou bien recevoir l’équivalent en monnaie sonnante et trébuchante.
Vous l’aurez deviné, on assiste donc à un défilé d’uniformes en piteux état.
Hayes remarque que les soldats semblent très attachés à leurs sacs. Ils ne les laissent jamais sans surveillance. Peut-être parce que ces sacs sont remplis de butins volés pendant les batailles. Certains ont même poussé le vis jusqu’à voler un piano !
Pendant ces trajets de rapatriement, ni la propreté ni la discipline ne sont respectés. Certains soldats se sont découvert une âme de marchands d’armes en revendant les fusils qu’ils ont volés aux ennemis.
Et les choses ne vont pas en s’améliorant quand ils rentrent enfin au pays. Ils sont tellement ingérables, que l’armée leur propose de repartir en Afrique du Sud immédiatement contre une belle somme.
Si Hayes n’est pas emballé à l’idée de devoir réembarquer ces perturbateurs, l’Officier du Transport Naval lui autorise à se débarrasser d’eux dans n’importe quel port d’escale s’ils ne répondent pas aux bases de la discipline en mer.
La guerre des Boers est terminée
Pendant les trois années de conflit, Hayes fait transiter plus de 37.000 soldats à bord du Britannic. Cet exploit lui vaut la médaille du transport.
Un autre Capitaine R.N.R. a reçu la médaille du transport lors de la guerre de Boer. Ce célèbre Capitaine à barbe blanche commandait alors le Majestic (1er du nom). Vous l’aurez deviné, il s’agit du Capitaine Edward J. Smith, que le monde entier connait aujourd’hui pour avoir été le Capitaine du RMS Titanic lors de son unique et tragique voyage.
L’insouciance des transports civils peut reprendre
Quand l’amirauté décommissionne enfin le Britannic en 1902, celui-ci est envoyé aux chantiers Harland & Wolff pour y être stocké. Après 28 années de service et des performances toujours égales, les travaux de remise en état sont jugés trop lourd. Il est revendu à un chantier de démolition et quitte Belfast le 11 aout 1903.
Le Capitaine Hayes quant à lui navigue sur la ligne australienne sur le Suevic. Lorsque le Arabic est livré à la White Star Line par les chantiers Harland & Wolff, Hayes prend les commandes du navire sur la ligne transatlantique.
Après deux années passées sans grand chamboulements, Bertram Hayes passe cinq ans en tant que commandant du Majestic (de 1890) toujours sur la ligne transatlantique. C’est lors de cette affectation qu’il sauvera l’équipage du Helios, un tanker Norvégien, dont le Capitaine semblait plus déçu de ne pas avoir investi dans son navire pour toucher l’assurance que heureux d’être sain et sauf !
Les honneurs de la White Star Line
Le 29 avril 1909, la White Star Line donne au Capitaine Hayes l’honneur d’inaugurer sa nouvelle ligne vers le Canada à bord du Laurentic.
Tout juste sorti de chantiers Harland & Wolff, le Lauretic et son jumeau le Megantic servent de test grandeur nature pour déterminer quel type de propulsion sera adoptée sur les paquebots de Classe Olympic.
Le Megantic et ses deux machines alternatives à triple expansion s’avère moins économique que le Laurentic qui est équipe en supplément d’une turbine à basse pression. C’est donc cette configuration mixte qui sera installée sur l’Olympic, le Titanic puis le Britannic.
Cette nouvelle affectation du Capitaine Hayes montre toute la confiance de ses employeurs à son égard. La ligne Canadienne est réputée plus dangereuse que celle en direction de New York. Les icebergs y sont plus nombreux, le brouillard y est épais et fréquent et la rivière entre Québec et Montréal demande une vigilance de tous les instants.
Tous les passagers ne sont pas des anges
En parlant de vigilance, quand on est maître à bord d’un paquebot, l’océan n’est pas le seul aspect qui doit rester sous étroite surveillance.
Par exemple, le 23 juillet 1910, l’inspecteur Walter Dew s’embarque sur le navire un mandat d’arrêt à la main. Il entre en contact avec Hayes et lui explique d’un certain Dr Crippen, soupçonné du meurtre de sa femme s’est embarqué sur le transatlantique Montrose pour fuir les autorités et disparaître au Canada.
Contacté par radio, le capitaine du Montrose ralenti son navire pour que le Laurentic arrive avant lui à bon port. Quand le Montrose accoste, Crippen et sa maîtresse sont arrêtés et renvoyés à Londres pour y être jugés.
C’est la première fois que la T.S.F. d’un navire joue un rôle dans l’arrestation d’un meurtier.
Toujours le bon mot !
Heureusement, tous les passagers n’ont pas des histoires aussi intenses ! La plupart des problèmes avec les passagers, sont plutôt dû à des personnages qui cherchent à obtenir des avantages gratuitement. Certains n’hésitent pas à faire jouer leur nom, titre ou profession pour faire pression sur le personnel.
Là encore, Hayes se montre toujours diplomate mais ferme. Ses talents de leader et son sens du bon mot forcent à chaque fois le respect dans les situations difficiles. Il sait toujours faire en sorte que chacun trouve son compte et que personne ne soit froissé.
Par exemple quand un passager vient se plaindre lors d’une croisière en lui jurant qu’on ne le verra plus que sur des navires allemands Hayes lui répond simplement devant la foule de passagers ameutés par le bruit :
« C’est parfait. Il y en a justement un à l’ancrage qui attend qu’on ait débarqué nos passagers pour faire de même. »
Le passager retourna à ses occupations sans un mot et l’équipage ne l’entendit plus se plaindre.
Il est certain que les talents relationnels de Bertram Hayes expliquent, au moins en partie, sa longue et belle carrière au sein de la White Star Line.
Le Capitaine Bertram Hayes et la stupeur canine
Voilà une anecdote peu banale.
Nous sommes au large de Belle Isle, le brouillard est épais. Le Laurentic suit sa route à vitesse réduite en direction du Canada. Soudain, une corne de brume se fait entendre. Quelques instants plus tard, le même son retentit mais il semble plus proche cette fois. Tous les officiers sur le pont s’accordent pour dire que le son vient de face.
Hayes ordonne qu’on fasse machine arrière toute pour stopper la course du navire. La corne de brume résonne encore une dernière fois dans l’immensité insondable de l’épais brouillard.
« Machines à demi vitesse en avant… C’est ce foutu chien ! »
La « corne de brume » était en réalité le chien d’un passager qui se lamentait sur le pont.
Un détour par la méditerranée
En mai 1911, Hayes est transféré sur l’Adriatic sur la ligne Méditerranée-New York. Ces traversées sont l’occasion d’excursions des passagers à chaque escale.
L’une de ces escales mène le navire à Monaco. Le navire approche du point de mouillage. Doucement, la lumière rouge du soleil levant se reflète sur les fenêtres des bâtiments blancs de Monte Carlo. Au loin on aperçoit les montagnes couvertes de neige. L’instant est magique pour Hayes qui le décrit comme la plus belle vue qu’il ait jamais contemplé en mer.
Les autres membres d’équipages semblent de son avis puisque tous ont arrêté de travailler pour admirer la vue pendant les quelques minutes que durent le spectacle. Dommage pour les passagers, en cette heure matinale un seul est sur le pont.
Mais Monaco n’aura pas été une source d’émerveillement pour tout le monde à bord. Lors du départ du navire, un passager de première classe tente de sauter par dessus bord pour mettre fin à ses jours après avoir perdu tout son argent au casino du rocher. Heureusement le pire est évité.
Hayes doit témoigner sur le naufrage du RMS Titanic
Le 11 juin 1912, Hayes est appelé à la barre des témoins concernant l’enquête britannique sur le naufrage du RMS Titanic. Lors de son témoignage, il lui sera posé des questions sur les modes de navigation en cas de présence de glace.
Le dernier voyage de J.P. Morgan
De retour à New York, Hayes a le plaisir d’accueillir J.P. Morgan à bord qui se rend à Alexandrie. Le capitaine et Morgan passeront quelques moments ensembles autour d’un bon cigare mais Morgan tombe gravement malade et reste Egypte.
Quand l’Adriatic repasse par Alexandrie, quelques semaines plus tard, Hayes accueille Morgan à bord. « Je ne suis pas encore mort » dit-il en riant « et j’espère encore beaucoup voyager avec vous. »
J.P. Morgan quitte le navire à Naples pour rejoindre Rome. Le monde entier scrute alors son état de santé mais le célèbre et très influent financier meurt à Rome.
La première Guerre Mondiale éclate
Quand la première Guerre Mondiale éclate le 28 juillet 1914, Hayes et l’Adriatic sont à New York. Le Capitaine passe le week-end à terre avec des amis.
L’Olympic est aussi au Chelsea Piers de New York sous les ordres du Capitaine Herbert Haddock. Après quelques jours de réflexion, la White Star décide que c’est l’Adriatic qui aura pour mission de rapatrier tous les passagers qui ont pris un billet vers l’Europe dans l’un des deux transatlantiques.
Quand le navire largue les amarres, tous les autres paquebots ainsi que leurs équipages (mis à part les allemands) lui envoient des cris d’encouragement et des chants patriotiques.
Pour le voyage retour vers New York le paquebot est plein à craquer de passagers américains qui rentrent en catastrophe chez eux. Et pour l’occasion, Hayes a la mauvaise surprise de découvrir que 4 mitrailleuses de 6 pouces ont été installées sur les ponts.
Pour lui cette décision est dangereuse et inutile et il proteste activement pour leur retrait :
« (…) vous avez fait de ce paquebot un navire pirate. Et si vous pensez que je serais assez stupide pour faire feu en cas de mauvaise rencontre alors que j’ai 2.000 civils américains à bord, vous faites une grosse erreur. Je ne le ferais pas même si l’ordre venais de Winston Churchill. »
Bertram Hayes, Hull Down p.168
L’influence des U-boats
Quand les sous marins allemands ont commencé à faire des ravages dans les flottes anglaises, les ordres ont été d’établir des courses en zigzag pour éviter leurs torpilles.
Hayes demande alors à l’officier naval quelles étaient précisément les recommandations pour effectuer ces zigzags mais lui même ne savait pas qu’en penser. Il demanda alors à quelle vitesse allait l’Adriatic. Quand Hayes lui répondit 17 nœuds et demi, l’officier sourit et lui dit qu’il n’avait rien à craindre des sous marins à cette vitesse.
Hayes se souviendra de cette phrase quand de très nombreux doigts accusateurs pointèrent le Capitaine William Turner comme fautif dans le torpillage du RMS Lusitania. Si Turner avait eu le même conseil que Hayes, il semble normal qu’il ne se soit pas senti particulièrement en danger à la vitesse de 19 nœuds sans effectuer de zigzags.
L’Olympic est déjà un héros de guerre
Après que le nombre de passagers transatlantiques ait décliné, l’Olympic est mis en sécurité à Belfast le 3 novembre 1914 juste après avoir sauvé l’équipage du HMS Audacious le 21 octobre.
Après 10 mois en stand bye, l’Olympic est finalement réquisitionné par l’amirauté qui souhaite l’utiliser comme transporteur de troupes. Le Capitaine Haddock, lui, n’a pas chômé. Il est aux commandes d’une flotte de faux navires de guerre dans le port de Belfast.
Mais maintenant que l’Olympic est prêt à reprendre la mer, c’est Bertram Fox Hayes que l’amirauté choisit pour mener l’Olympic à bon port contre l’avis de la White Star qui aurait préféré Haddock qui connait bien le navire.
Le Capitaine Hayes prend la barre de l’Olympic
Hayes est transféré de l’Adriatic à l’Olympic le 16 septembre 1915 à Liverpool. Sa mission à bord du paquebot est d’effectuer des transports de troupes vers le front des Dardanelles en Méditerranée.
Mais avant tout, il va falloir préparer le navire ! Quand Hayes arrive à bord, tout est dans un état de confusion et de désorganisation impressionnant. L’Olympic a été équipé de deux canons. Un canon de 12 livres à l’avant et un autre de 4,7 pouces à l’arrière. Quatre marins de la Navy y sont assignés, dont Donald Stewart donc vous pouvez retrouver le témoignage en cliquant juste là.
Après quelques jours de préparation et l’embarquement de 6.000 troupes, le HMT Olympic met le cap sur la méditerranée.
Cap sur la méditerranée
Ce premier transport de troupes est une épreuve pour les estomacs. L’Atlantique est déchainé et rares sont les soldats qui résistent au mal de mer. Il faut attendre de passer Gibraltar et d’entrer en mer Méditerranée pour que tout le monde retrouve des couleurs.
Quelques jours plus tars, le 1er octobre 1915, la passerelle de l’Olympic repère un canot à la dérive. Il s’agit de 34 marins français, rescapés du Provincia qui a été coulé par un U-Boat le matin même.
Hayes ordonne qu’on ralentisse le navire et qu’on descende la coupée du pilote pour que les marins français puissent monter à bord. Une fois le sauvetage réussi le navire reprend sa course à pleine vitesse.
Si Hayes ne regrette absolument pas son choix et sera plus tard décoré de la Médaille de Sauvetage en Or de 2ème Classe. Cet acte humain n’est pas au goût de l’amirauté qui considère sa démarche dangereuse.
Après tout, le U-Boat aurait tout à fait pu attaquer l’Olympic et mettre en péril le navire et la vie des 6.000 soldats à bord en plus de l’équipage.
L’avis de l’Amirauté aurait d’ailleurs pu se vérifier très vite ! Deux heures seulement après avoir sauvé l’équipage du Provincia, le périscope d’un sous marin est aperçu. Hayes fait en sorte de positionner le navire pour que le canon arrière puisse faire feu. Une torpille manque la poupe de l’Olympic et après une autre salve du navire le sous marin disparaît.
Finalement le HMT Olympic arrive sain et sauf à Moudros où les soldats rejoignent le front. Le paquebot rebrousse ensuite chemin et fait escale à Spezia en Italie pour refaire le plein de charbon. Il arrive à Liverpool le 31 octobre 1915.
Toujours plus d’hommes au front
Ce transport de troupes est le premier d’une série de 4 que l’Olympic fait pour combler les besoins en soldats à Moudros et sur le front de Gallipoli.
L’Olympic sort de ces traversées indemne. Un exploit pour un paquebot de cette taille !
Car les U-Boats ne sont pas les seuls dangers en mer. Il faut aussi composer avec les champs de mines sous-marines qui pullulent.
Dangers invisibles qui auront raison de son jumeau, le HMHS Britannic.
Après avoir acheminé plus de 25.000 hommes au front, et échappé à l’attaque d’un avion Bulgare qui tenta de bombarder le paquebot à quai, l’Olympic et le Capitaine Hayes retournent sur l’océan atlantique.
En route pour Halifax
Le paquebot transatlantique retrouve son habitat naturel. Sa nouvelle mission est d’acheminer les troupes Canadiennes de Halifax vers Liverpool. Mais il y a un détail auquel Hayes et l’équipage n’étaient pas vraiment préparés. C’est l’appétit de ces troupes !
Alors que les soldats britanniques se contentaient de leurs rations servies dans les cantines du navire, les soldats Canadiens (puis plus tard les Américains) doivent être nourris comme des passagers de troisième classe.
L’ampleur de la tâche saute aux yeux du Capitaine un dimanche matin après une discussion avec le chef Steward.
Chef Steward : Combien pensez vous que nous avons servi d’œufs pour le petit déjeuner ?
Capitaine Hayes : Je dirais à peu près 1.500.
Chef Steward : 13.500 et autant de bacon !
Bertram Hayes, Hull Down
D’ailleurs, les soldats ne sont pas les seules bouches à nourrir pendant ces traversées. Quand les femmes des soldats Canadiens se rendent compte que leurs maris passent des semaines, voire des mois en entrainement en Angleterre avant d’être envoyés au front, elles décident de faire pression pour les rejoindre.
Les voyages vers Halifax servent donc maintenant aussi à rapatrier les femmes et enfants des soldats lorsqu’ils sont envoyés sur le front en France.
Un bon coup de pinceau
Après une dizaine de transports de troupes transatlantiques, l’Olympic est finalement envoyé à Belfast pour être remis en état le 12 janvier 1917.
Hayes est alors missionné Capitaine du Celtic mais le 14 février, le navire heurte une mine sous-marine. Sur le coup, l’origine de l’explosion n’est pas claire. Il peut tout aussi bien s’agir d’une torpille. L’assistant de Hayes lui apporte rapidement des vêtements de rechange pour éviter qu’il ne soit capturé par un hypothétique U-Boat.
Heureusement il ne s’agit que d’une mine et les dégâts ne sont pas d’ampleur à couler le bateau que l’équipage ramène à bon port.
Après un aller-retour Liverpool-New York sur le pont de l’Adriatic, Hayes reçoit enfin l’ordre de rejoindre l’Olympic qui a été déposé à Glasgow par le Capitaine Jones.
En montant à bord le 3 avril 1917, outre le nouveau camouflage Dazzle du navire, Hayes découvre que six canons de 6 pouces ont étés installés pendant la remise en forme du paquebot. Canons accompagnés de 40 marins de la Navy pour les utiliser.
Des soldats et des princes
En mai 1917, le HMT Olympic a l’honneur d’accueillir le prince d’Udine, Ferdinand de Savoie qui est envoyé aux Etats Unis pour diriger le conseil de guerre italien.
La commission compte un autre invité de marque tels que le sénateur Guglielmo Marconi, plus connu pour avoir donné son nom aux machines télégraphiques Marconi. Celle-là même qui servirent à envoyer les messages de détresse du RMS Titanic dans la nuit du 14 au 15 avril 1912.
New York, New York
Après la gigantesque explosion qui a rasé le port de Halifax le 6 décembre 1917, l’Olympic met maintenant le cap sur New York pour embarquer les soldats américains vers l’Europe.
C’est lors d’un de ces trajets que l’Olympic et son Capitaine ont l’honneur d’accueillir l’Amiral Montague Browning. Sa présence à bord implique que le paquebot fasse voile sous le pavillon du Commandant en chef de la station d’Amérique du Nord et d’Inde de l’Ouest.
Arrivé à Liverpool, l’Olympic fait alors sensation. Hayes ne l’apprend que plus tard mais ce pavillon fait automatiquement de lui l’Officier Naval Supérieur du port. Il a ensuite conservé soigneusement le pavillon en souvenir de ce jour.
Les transports de troupes entre les États-Unis et l’Angleterre se passent sans encombre, mais le calme sera bientôt brisé.
Quand les U-Boats passent à l’offensive
C’est assez soudainement que les dangers de la guerre refont surface le 25 avril 1918. L’Olympic a quitté Southampton la veille en direction de New York quand l’un des destroyers d’escorte remarque qu’un sous marin l’a pris en chasse.
Le gigantesque paquebot manœuvre pour lui tirer dessus tout en continuant sa course à pleine vitesse. L’incident est évité mais le bruit des canons a inquiété le pilote de Southampton, resté à bord. Hayes lui tape dans le dos et le rassure « Tu n’as pas à t’inquiéter Georges, c’est mon anniversaire et rien n’arrivera aujourd’hui. »
Quelques semaines plus tard, le 12 mai 1918, l’Olympic réalise l’exploit d’éperonner et de couler le U-103. Fait d’arme exceptionnel car jamais encore un navire marchand n’avait réussi à couler un bâtiment de guerre ennemi.
Pour ce fait d’armes, Hayes reçoit la D.S.O. de la main du Roi Georges V qui se montre très intéressé par le récit du Capitaine.
La guerre prend fin !
Quand l’Olympic arrive à New York le 10 novembre 1918, il est trop tard pour débarquer tous les passagers. Ils restent donc à bord jusqu’au lendemain matin. Hayes quant à lui décide d’aller passer la nuit chez ses amis les Vickers chez qui il a prévu de rester quelques temps.
Le lendemain matin, il est le premier levé et remarque que le journal n’a pas été livré. Il décide de sortir pour en trouver un exemplaire. Dans la rue, il croise un homme et son chien, tous les deux enrubannés aux couleurs du drapeau américain. L’homme a une cloche à la main et son le chien en porte une autour du cou.
Hayes change de trottoir à la vue de ce lunatique et ce n’est qu’en découvrant la une du jour qu’il comprend sa rencontre matinale. L’armistice est signée, la guerre est finie !
Sur l’Olympic, Griffiths, l’assistant de Hayes, est le premier à apprendre la nouvelle. Il se déguise alors avec une fausse barbe et un vieil uniforme de Capitaine, puis, équipé d’une bouteille de whisky, entreprend de réveiller tous les officiers à bord pour leur proposer un petit déjeuner pour le moins festif.
Le grand rapatriement
Il est grand temps de rapatrier les soldats Canadiens chez eux pour qu’ils retrouvent leurs familles et reprennent le cours de leurs vies. Et c’est toujours avec émotion que ces soldats arrivants à Southampton découvrent qu’ils vont embarquer sur le Vieux Fidèle.
Le Capitaine Hayes a à cœur de leur fournir le plus grand confort possible en ces circonstances et tout le monde à bord se rend compte des efforts fournis par l’équipage.
A chaque arrivée au port Canadien, des milliers de personnes acclament le navire et les troupes qui reviennent enfin à la maison.
On ne tarit pas d’éloges sur le paquebot et son Capitaine. Comme en témoignent les très nombreuses plaques commémoratives qui sont offertes au navire et à son commandant.
Le Vieux Fidèle livre son secret
En février 1919, l’Olympic est mis en cale sèche. Une fois la cale vidée, on s’aperçoit d’un impact circulaire d’une cinquantaine de centimètres dans la coque qui a causé une fracture de l’acier sur une quinzaine de centimètres.
Tout le monde comprend alors que le navire a été frappé par une torpille qui n’a pas explosé. Le coup était d’ailleurs très bien placé car l’impact se situe 4 mètres sous la ligne de flottaison entre la seconde et troisième cheminée.
Si personne ne s’est inquiété de cette brèche, c’est parce qu’en 1913, l’Olympic a subi une lourde refonte pour améliorer sa sécurité après le naufrage du Titanic. Ces amélioration comprennent l’ajout d’une double coque qui a permis au navire de continuer sa route sans même se rendre compte de l’incident.
Après quelques réparations, le navire retourne sur l’Atlantique pour rapatrier les troupes Canadiennes jusqu’en aout 1919.
Il est ensuite envoyé aux chantiers Harland & Wolff de Belfast pour subir une refonte destinée à le remettre en état pour le service commercial et le convertir au fuel.
Le Capitaine Hayes est fait chevalier
Après un mois de repos bien mérité, Hayes décide de passer quelques semaines chez ses amis les Vickers dans leur maison du New Jersey. Là-bas il y est interviewé et photographié par un journaliste New Yorkais.
Puis quelques jours plus tard, il reçoit plusieurs télégrammes de la part de ses amis de Halifax qui le félicitent d’avoir été fait Chevalier.
Hayes, qui ne sait rien de l’honneur qu’on lui a fait ne comprend pas vraiment l’information jusqu’à ce qu’il reçoive un message officiel de la White Star confirmant la nouvelle.
C’est ainsi que le Capitaine Hayes devint Sir Bertram Hayes. Suivront plusieurs évènements où il est convié en invité d’honneur pour parler des aventures de son navire durant les années de conflit. Et bien que les discours ne soient pas sa tasse de thé, sa passion finit toujours par captiver l’auditoire.
Ses congés terminés, Sir Hayes embarque sur le Megantic en direction de l’Angleterre. Le 16 juillet 1919, il est promu Aides de Camp de Sa Majesté le Roi au sein de la Royal Naval Reserve. Il rencontre d’ailleurs le Roi à deux reprises à Buckingham Palace. Ce dernier semble très bien connaitre l’Olympic et son histoire.
L’Olympic de retour au service civil
En mai 1920, Hayes retrouve enfin le RMS Olympic à Belfast qui est prêt à reprendre son service civil au mois de juin. Pour sa première traversée civile d’après guerre, tout le monde à bord est ravi.
Fini les camouflages, zigzags et hublots obstrués, le paquebot a retrouvé sa splendeur légendaire et ses intérieurs luxueux. Lord Pirrie et sa femme sont du voyage et partagent la table du Capitaine durant la traversée.
L’adaptation des chaudières pour les faire fonctionner au fuel plutôt qu’au charbon est une merveille. Le régime moteur ne varie que d’une décimale durant tout le voyage. Et c’est aussi un soulagement pour les passagers et le chirurgien de bord qui n’a plus à retirer les résidus de charbon des yeux des passagers qui se prélassent sur le pont.
Quand Hayes devient Indien
En septembre 1921, l’Olympic embarque Levi General, le Chef Deskaheh du conseil des Six Nations.
Il retourne aux Etats-Unis après avoir demandé l’aide du gouvernement Britannique face à la volonté du gouvernement du Canada de forcer son peuple à devenir citoyens Canadiens.
Il est tellement impressionné par la taille et la vitesse de l’Olympic qu’il honnore le Capitaine Hayes en le nommant Membre Honoraire de la tribu des Six Nations.
La cérémonie officielle se tient à bord un matin à 11h00. Levi General et son conseiller légal rejoignent Hayes et ses invités dans ses quartiers.
Levi General est en tenue complète de Chef Indien et Hayes en tenue de cérémonie officielle. Après un discours du Chef, Hayes reçoit son nom Indien, Tah-ny-a-dies, l’homme qui traverse les grandes eaux.
Le Chef Deskaheh poursuit par un chant dans sa langue en l’honneur de Hayes. Le calumet de la paix est consommé puis es deux hommes se serrent la main et la cérémonie prend fin.
Hayes, ou Tah-ny-a-dies tient de longues discussions avec le Chef Deskaheh. Ils parlent entre autres des traités signés entre l’Angleterre et les Six Nations lors de la guerre entre Français et Anglais pour le contrôle du Canada.
Pendant cette conversation, le Chef confie à Hayes qu’il a été déçu de ne pas pouvoir plaider la cause de son peuple directement face au Roi mais seulement devant le Secrétaire chargé des Colonies.
Des retrouvailles très spéciales !
Heureusement, tout n’est pas politique à bord de l’Olympic. Au terme d’une traversée en direction de New York, Hayes reçoit un message d’un destroyer américain qui lui demande sa position, vitesse et l’heure à laquelle il passera le bateau-feu Nantucket.
Le Capitaine pense qu’il s’agit d’une escorte de courtoisie pour un passager, l’ambassadeur Davis.
Quand le destroyer arrive aux côtés du paquebot le soir même, son Capitaine communique par lampe morse avec le pont de l’Olympic pour savoir si une certaine jeune femme se trouve à bord.
Hayes répond qu’elle est bien à bord et comprend que le destroyer n’a pas du tout vocation à escorter l’ambassadeur mais bien à faire parvenir un message personnel.
La jeune femme est prévenue et celle-ci fait parvenir à Hayes un message pour le destroyer. Un message très tendre que Hayes transmet avec quelques modifications pour éviter que le Capitaine du destroyer ne soit victime de railleries.
Quelques heures plus tard, les deux navires échangent sur l’heure d’arrivée en quarantaine qui est prévue pour minuit. Hayes prévient toutefois qu’aucun échange de passager n’est possible avant que la quarantaine ne soit levée. Le destroyer s’approche au maximum de l’Olympic et les deux navires passent la nuit au mouillage.
Quand le soleil se lève enfin, la jeune femme et le Capitaine du destroyer sont sur le qui vive ! Ce dernier suit même le médecin qui vient d’arriver à bord mais ce dernier lui ordonne de ne pas aller plus loin.
La jeune femme, qui vient d’apprendre que son amour est à bord traverse les couloirs du navire à toute allure, rate une volée de marches pour finir directement dans les bras de son fiancé.
Les années glorieuses
Le début des années 20 marque l’âge d’or de l’Olympic. Le navire et son Capitaine transportent des stars telles que Charles Chaplin, Mary Pickford ou Douglas Fairbanks
Parmi les habitués du Vieux Fidèle et de son Capitaine, on retrouve les Van Ingen. Le patriarche de la famille est surnommé « Commodore de l’Atlantique » pour les 2 traversées transatlantiques annuelles qu’il effectue en tant que passager de la White Star.
Pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, il avait fait don de quantités astronomiques de vêtements et de nourriture pour soutenir la population. Pour ses 80 ans qu’il fête à bord de l’Olympic, E.H. Van Ingen danse même une gigue sous le regard ébahi de Hayes.
Le drapeau de commodore flotte sur le Majestic
A la fin du mois de juin 1921, Hayes prend sa retraite de la Royal aval Reserve qui lui donne le titre de Commodore 2nd Classe. C’est le premier Capitaine de la marine marchande à recevoir cet honneur.
Au sein de la White Star Line, ce titre prestigieux et la carrière de Hayes ne laissent évidemment pas indifférent. La compagnie décide donc de renouer avec une tradition mise de côté depuis des années : désigner un Commodore de la flotte.
On pense souvent que la Capitaine Smith était lui même Commodore de la White Star. En réalité, ce n’était pas le cas. Le dernier Commodore désigné par la compagnie était Hamilton Perry en 1882. Mais ce dernier prit la « grosse tête » et finit par démissionner après avoir heurté le Celtic aux commandes du Britannic.
En plus de ce titre honorifique, Hayes est aussi désigné Capitaine du tout nouveau RMS Majestic. Le plus grand navire du monde !
The Times, 30 Décembre 1921 COMMODORE DE LA WHITE STAR LINE --- LE DRAPEAU DE SIR BERTRAM HAYES --- La White Star Line a décidé de désigner un commodore à leur flotte, il sera le premier à hisser le drapeau, un drapeau rouge avec une étoile blanche. Il sera à Sir Bertam Hayes, D.S.O. R.D., R.N.R., qui a été récemment promu à un rang similaire par la Royal Naval Reserve. Les couleurs du commodore flotteront au dessus du siège de la compagnie. Sir Bertram Hayes a été nommé commandant du Majestic de 56.000 tonneaux, le plus grand vapeur du monde, qui quittera Southampton le 10 mai pour son voyage inaugural sur la ligne Southampton-Cherbourg-New York, où flottera le drapeau de commodore pour la première fois. Hayes est pour le moment aux commandes de l'Olympic, dont le long service de guerre, aussi sous son commandement, compris le naufrage d'au moins un sous marin allemand.
Mais avant de rejoindre le Majestic, Hayes fait une traversée aller-retour sous les observations de son successeur à la barre de l’Olympic, le Capitaine A.E. Hambelton, le plus grand mythomane de l’Atlantique, d’après Hayes en tous cas.
C’est ainsi que le Commodore Hayes quitte avec quelques réticences son affectation sur l’Olympic le 7 janvier 1922 après plus de 6 ans aux commandes du vaisseau.
Rapatrier le Bismark / Majestic
Deux mois de repos plus tard, Hayes est envoyé en Allemagne en mars 1922 pour prendre le commandement du Majestic. Le paquebot s’appelle alors encore le Bismark et est en phase finale d’aménagement aux chantiers Blohm & Voss de Hambourg. Il est confié à la White Star Line en guise de réparation de guerre pour le naufrage du HMHS Britannic en mer Egée.
Il s’agit alors de vérifier avec une équipe de Harland & Wolff que le navire est prêt, d’effectuer les essais en mer puis de le conduire en Angleterre.
L’accueil, vous vous en doutez n’est pas très chaleureux mais avec un peu de bonne volonté et pas mal de courtoisie, tout se passe sans problème.
Le navire quitte Hambourg pour ses essais en mer le 28 mars 1922 portant toujours le nom Bismark sur ses flancs et sa poupe. A quai, les milliers d’ouvriers qui l’ont bâti le regardent s’éloigner en silence.
Quelques jours supplémentaires sont nécessaires pour finir de préparer le navire.
Puis une fois tous les ouvriers de Blohm & Voss débarqués, d’autres se chargent de renommer le navire et de peindre ses cheminées aux couleurs de la White Star Line.
Le paquebot arrive le 10 avril 1922 à 9h00 au quai de la White Star de Southampton. Il y reste un mois complet pour le préparer à son voyage inaugural le 10 mai 1922 en direction de New York.
Dans une interview parue lors de sa retraite, Hayes confie que prendre le navire à ses constructeurs est l’épisode le plus désagréable qu’il ait vécu dans sa carrière.
Une visite Royale
Quand le Majestic arrive à Southampton dans la soirée du 4 aout 1922, on demande à Hayes de conduire le navire au large de Cowes pour une visite de la famille Royale.
Le paquebot reprend donc la mer et l’équipage passe la nuit entière à s’assurer que chaque partie du navire est impeccable pour l’occasion.
Pendant la visite guidée menée par Hayes, le Roi Goerges V et la Reine Mary prennent le temps de découvrir chaque aspect du navire. Quitte même à faire fi du planning que tente d’imposer leur délégation. Le couple pose de nombreuses questions. Le Roi pose même une colle à Hayes en lui demandant combien d’ampoules électriques compte le paquebot.
Après une pause rafraichissante dans le restaurant du Majestic, la famille Royale quitte le navire. La princesse Béatrice vient aussi visiter le navire un peu plus tard dans la journée.
Hayes et tout l’équipage se souviendront longtemps de cette journée qui est pour eux, leur compagnie et leur navire, un très grand honneur.
La dernière traversée
Vient l’heure de la dernière traversée pour notre cher Chevalier, Membre Honoraire de la Tribu des Six Nations et Commodore Bertram Hayes.
Lettres, cadeaux, articles de presse… Hayes est ému par tous les témoignages de sympathie qu’il reçoit des deux côtés de l’Atlantique.
Pour ce dernier trajet, il est accompagné du Capitaine Metcalfe qui va prendre la relève sur le Majestic. Le paquebot arrive à Southampton le 23 décembre 1924. Hayes quant à lui salue tous ses compagnons de route au Palace Theater de Southampton. C’est l’aboutissement plus de 44 ans passés en mer.
The New York Times, 28 décembre 1924 PERSONNAGES DE LA SEMAINE --- Sir Bertram Hayes a pris sa retraite de la mer, mettant fin à sa carrière maritime après un voyage sur le paquebot Majestic de la White Star la semaine dernière. Il ne s'est jamais marié. "Un homme ne devrait pas demander à une femme de partager les incertitudes qui accompagnent la vie d'un marin." Dit-il. Et bien, Sir Bertram est encore un jeune homme - à peine 60 ans - et bel homme. À présent qu'il s'est installé et abonné aux certitudes de la vie à terre, qui sait ce qui peut arriver?
Mais ce dernier voyage ne signifie pas que Hayes se retire complètement du service. En réalité, il continue de travailler pour la White Star Line en tant que consultant. Ce rôle lui demande de voyager dans de nombreux ports et de faire des études pour évaluer de nouvelles routes commerciales.
Hull Down
Hayes retrouve un peu le calme de la terre ferme. Depuis la mort de sa mère en 1921, son pied à terre est un lieu partagé avec ses sœurs à Crosby, Liverpool. C’est là qu’il écrit la majorité de ses mémoires intitulées Hull Down : Reminiscences of Windjammers, Troops and Travelers qui paraissent en 1925.
Dans ce récit passionnant, Hayes livre des tonnes d’anecdotes de service ainsi que trois recommandations aux autorités navales.
- En temps de guerre, qu’on laisse les équipages marchands réquisitionnés gérer leur navire au lieu de les mettre sous les ordres de retraités de la Navy aux connaissances obsolètes.
- Qu’on développe enfin les signaux Wireless pour augmenter la sécurité des navires près des côtes. Sujet sur lequel le Royaume-Uni a un lourd retard par rapport aux Etats-Unis, la France et même ses colonies.
- Que le Royaume-Uni construise enfin une cale sèche capable d’accueillir le Majestic. Il lui paraît inconcevable que le Majestic, paquebot appartenant à la première puissance maritime mondiale, ne puisse être inspecté qu’à Boston aux Etats-Unis.
On retrouve ensuite très peu d’informations sur les dernières années de sa vie.
En 1931, Hayes est nommé Lieutenant Adjoint de Lancashire. Son rôle est alors d’assister le Lieutenant lors des visites Royales.
Dix ans plus tard, il disparait dans sa maison de Liverpool le 15 mai 1941 à l’âge de 77 ans.
Il est enterré au cimetière Toxteth Park de Liverpool auprès de sa famille.
Sir Bertram Fox Hayes
Si l’histoire de Bertram Fox Hayes vous a plu, je vous conseille vivement de lire ses mémoires. Et si vous avez apprécié cet article je vous invite à le partager ! Vous contribuerez à faire vivre la mémoire de ce Capitaine à l’histoire incroyable qui fût aux commandes du plus beau navire du monde.
Bien sûr, d’autres hommes ont marqué de leurs noms l’histoire du RMS Olympic, mais ça, nous le verrons dans un prochain article !
Samuel Longin
Sources : Hull Down – Bertram Fox Hayes / RMS Olympic : Titanic’s Sister – Mark Chirnside / Wikipedia : Bertram Fox Hayes – Titanic Inquiry – Laurentic / Encyclopedia Titanica : Mark Baber – Commodores – Laurentic – Articles de journaux / Bruzelius : Fall of Afton / Clydeships : Fall of Afton / Tombe de Bertram Fox Hayes /
Photos : (1) Hayes et Metcalfe, collection de Samuel Longin / (2) Sir Bertram Fox Hayes, 12 septembre 1921, NPG x121159, National Portrait Galery, London / (3) SS Britannic – Library of Congress – / (4) Laomene, peinture de Antonio Jacobsen de 1883 / (5) Falls of Dee / (6) Coptic, State Library of Queensland / (7) Bertram Hayes, Collection de Samuel Longin / (8) Ferme incendiée / (9) SS Laurentic, domaine public / (10) Tombe de Bertram Fox Hayes, photographie de Trevor Baxter / (11) Monaco / (12) Médaille de Sauvetage en Or de 2ème Classe / (13) Sir Montague Browning / (14) Peinture de Willie Stöwer / (15) Hayes chez les Vickers à Newfoundland, New Jersey, collection de Samuel Longin / (16) Levi General / (17) Draguage de mines / (18) Le camouflage Dazzle de l’Olympic / (19) Le RMS Majestic / (20) Visite Royale, Collection de Samuel Longin
Bonjour,
Un bel article, toujours aussi inspirant, même pour les néophytes. Assez long pour se plonger dans l’histoire et en ressentir le contexte, assez bref pour ne pas se lasser. Feuilleton à poursuivre, merci